Les hippopotames de Pablo Escobar se voient attribuer la personnalité juridique

Dans une ordonnance du 15 octobre 2021, le tribunal de district de l’État de l’Ohio, a reconnu la personnalité juridique aux anciens hippopotames de Pablo Escobar, une première aux États-Unis ! Jusqu’alors, le fait de reconnaitre la personnalité juridique à un animal s’était majoritairement décidé en Amérique Latine. Cette récente décision étasunienne ne s’applique cependant pas en Colombie, mais elle permet d’exercer et de maintenir un moyen de pression. En effet, les associations de protection animale et défenseurs des animaux du monde entier suivent de plus près encore cette affaire.

Qui sont les « cocaine hippos » ?

Le trafiquant de drogue à la renommée mondiale, aussi surnommé le Baron de la drogue, avait importé illégalement quatre mammifères (qui viendraient d’un zoo de Californie) pour les enfermer dans son zoo privé situé à Puerto Triunfo près du fleuve Magdalena, à une centaine de kilomètres de Medellín. Pablo Escobar se servait notamment de cet endroit pour faire la fête, impressionner les personnes avec qui il faisait du « business » et avait réussi à en faire le zoo le plus important de Colombie.

L’hippopotame est une espèce sauvage menacée d’extinction (classée Vulnérable sur la Liste Rouge de l’IUCN )et figure ainsi depuis 1995 dans les annexes II de la CITES . Cette classification résulte notamment de la perte de l’habitat naturel de cet animal semi-aquatique ainsi que du braconnage pour sa chair et ses dents, ces dernières représentant une alternative à l’ivoire.

Parmi les quatre individus possédés par Pablo Escobar, trois d’entre eux étaient des femelles. Ainsi les progénitures nées (environ 80 hippopotames) ont toutes le même ancêtre. Cela a évidemment des effets néfastes comme des malformations, des prédispositions à certaines maladies ou encore de l’infertilité.

Source : Pixabay

 À la mort de Pablo Escobar en 1993, les hippopotames sont abandonnés à leur sort dans l’ancienne demeure, et finiront par s’échapper afin de gagner de nouvelles terres.

Pour saisir entièrement l’engouement autour de cette affaire, il faut comprendre les caractéristiques de l’animal. L’hippopotame est une espèce originaire du continent africain. Il est connu pour être un animal très puissant avec de ce fait, très peu de prédateurs. Les guerriers zoulous aimaient d’ailleurs se considérer comme des hippopotames car ces animaux incarnent pour eux le courage.

Ce sont principalement les petits qui sont des proies pour les autres mammifères vivant sur le sol africain, notamment le lion, la hyène et le crocodile du Nil. Les cas où un adulte est attaqué sont très peu nombreux et suggèrent que plusieurs individus se soient accordés pour y parvenir (comme les grands lions ou un groupe de crocodiles). L’hippopotame dans son habitat naturel n’a donc pas de réelles menaces, à part l’humain bien sûr.

Cependant, si l’humain est un danger pour l’hippopotame, l’inverse vaut également, car l’animal est imprévisible et très territorial. Les attaques sont rapides et souvent mortelles.

En Colombie, les prédateurs sont inexistants et la végétation abondante. L’animal d’une tonne et demie (parfois jusqu’à une tonne supplémentaire) peut se reproduire en toute liberté. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. Malheureusement les conséquences sur l’écosystème sont catastrophiques : développements des algues (à cause des excréments), causant la perte des populations de poissons, affaissement des terres lorsque les hippopotames viennent pâturer, déplacement d’espèces natives comme la loutre ou le lamantin (ce dernier étant déjà classé comme espèce « vulnérable » dans la liste rouge de l’IUCN). Mais ces hippopotames sont également potentiellement porteurs de pathogènes dangereux pour le bétail et ils empêchent aussi certains endroits la population locale de pêcher, les gens craignant de s’aventurer trop près des berges ou de se faire surprendre sur l’eau dans leurs petites embarcations par un de ces géant belliqueux.

Source : Pixabay

S’agissant de la vie en communauté, les hippopotames vivent en groupes de 5 à 30 femelles et petits, gérés chacun par un mâle dominant.

Les mâles, très territoriaux, se battent entre eux pour gagner une parcelle, le perdant partant avec quelques femelles pour créer un nouveau groupe.

Des équipes en concertation avec des vétérinaires ont alors tenté de réduire la reproduction (une femelle peut donner naissance à un petit par an) par le biais de la stérilisation chirurgicale des mâles. La logistique de ces opérations est assez complexe, à commencer par l’isolement des individus, malgré tout, 24 hippopotames ont pu être stérilisés.

Une autre solution avancée était de conserver les hippopotames dans un environnement semi-clos mais selon les témoignages recueillis dans un documentaire Arte de 2021, il faudrait pour cela débourser environ 100 000 euros par individu et par an ; cette solution est beaucoup trop onéreuse pour être retenue…

C’est donc dans ce contexte que les autorités colombiennes ont demandé l’autorisation d’abattre le groupe d’individus.

En 2009, le gouvernement avait déjà donné l’ordre de tuer, mais la mort du premier hippopotame avait causé un tel scandale et une telle levée de boucliers que la décision n’avait pas été maintenue. Certains ont donc été stérilisés chirurgicalement, d’autres sont partis vivre une vie captive dans des zoos.

Un retour en Afrique était et reste par ailleurs quasi impossible pour des raisons financières, génétiques et sanitaires.

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Les hippopotames de Magdalena, individus dotés de la personnalité juridique ? 

La procédure qui a permis l’attribution de la personnalité juridique aux hippopotames de Pablo Escobar n’est pas une première, elle a déjà servi la cause d’autres animaux.

En Colombie, les animaux ont le droit de faire représenter leurs intérêts devant le juge. Les hippopotames pouvaient donc bénéficier des services d’avocats afin que leurs intérêts soient protégés. C’est ainsi que l’avocat Luis Domingo Gomez Maldonado* a déposé une plainte pour le compte des hippopotames en arguant notamment qu’une alternative à leur mort était possible par le biais de la stérilisation chimique pour gérer la situation.

Il a tout de même fallu obtenir l’autorisation de la cour de justice colombienne de prendre en compte deux témoignages de vétérinaires /experts étrangers de l’Ohio qui connaissent les procédures, les posologies et les molécules à utiliser pour stériliser chimiquement sans danger et avec efficacité les hippopotames.

L’association Animal Legal Defense Fund a ainsi fait appel à une loi des États-Unis afin de permettre de recueillir les témoignages de ces deux experts. Cette procédure (28 U.S.C. § 1782) permet en effet à toute « personne intéressée » de demander à un tribunal fédéral l’autorisation d’assigner à comparaître une personne aux États-Unis afin de recueillir un témoignage ou une preuve pour une procédure. La Cour suprême avait déclaré qu’un plaideur étranger était « sans aucun doute » « une personne intéressée » au sens de l’article 1782 du titre 28 du Code des États-Unis.

L’ALDF a donc soumis grâce à cette dernière une demande de témoignage d’experts aux États-Unis pour le compte des hippopotames colombiens. Cette demande a été accordée par les juges.

Cet accord a une importance capitale, car cette décision du tribunal de district de l’État de l’Ohio a reconnu aux hippopotames la capacité de faire respecter des droits directement dans leurs intérêts, en accordant que des animaux qui représentent une partie dans un litige étranger puissent récolter des témoignages ou documents.

Les avocats des « cocaine hippo » espèrent notamment que cette décision puisse servir pour les prochains cas, notamment Happy, éléphante défendue par Steven Wise (NHRP) aux États-Unis. Mais le concept de personnalité juridique reste  « flou » pour eux , car  il peut « signifier autre chose selon le contexte ».

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La personnalité juridique pour les animaux, un moyen effectif de protection ?

La personnalité juridique octroyée à l’animal permettrait d’en faire un véritable sujet de droit, et non plus un simple objet de droit. L’importance étant que l’animal soit titulaire de droits (actifs comme passifs), sa protection serait ainsi plus effective, car elle serait adaptée en fonction des animaux (de l’espèce, l’individu) et permettrait de ne plus faire « le grand écart » (selon Jean-Pierre Marguénaud lors du colloque sur la personnalité juridique organisé par la LFDA) entre toutes les espèces lorsqu’une réponse unique est apportée. L’animal ne serait ainsi plus simplement un bénéficiaire de droits, mais pourrait les exercer !
Les hippopotames du narcotrafiquant ne sont pas les premiers à s’être vu octroyer la personnalité juridique. En effet, et de manière non exhaustive, en 2015 c’est à l’orang-outang Sandra d’être reconnue comme sujet de droit en Argentine ; un an plus tard, c’est Cecilia, un chimpanzé emprisonné dans un zoo en Argentine à qui on applique pour la première fois l’Habeas Corpus (c’est une décision à minimiser toutefois, car rendue à juge unique et en première instance), mais il y a aussi eu la Corée du Sud, qui a adopté un projet de loi accordant un statut juridique aux animaux.

La personnalité juridique permettrait une protection plus efficace de l’animal, celui-ci étant jusqu’alors protégé en raison de sa relation avec son propriétaire, dans une démarche anthropocentrée. Cela commence toutefois à changer, l’opinion publique se rangeant de plus en plus du côté de la protection animale, là où les études scientifiques abondent pour rendre compte de la sensibilité animale, loin de la théorie de l’animal-machine avancée par Descartes.

Certes, les espèces invasives sont destructrices et dangereuses pour les écosystèmes, mais il faut toujours bien garder à l’esprit que le problème démarre dans la majorité des cas par l’introduction (volontaire ou non) d’animaux par des humains sur de nouveaux territoires.Et lorsque la situation échappe au contrôle des humains, c’est malheureusement  les animaux  introduits et leurs descendants qui doivent payer de leurs vies et sont victimes de campagnes d’éradication .

Pénélope Ehles

Source : Pixabay

 

*Luis Domingo s’était par ailleurs également occupé du cas de Chucho, dès 2016, un ours à lunettes qui vivait en semi-captivité dans une réserve et qui a été envoyé dans un zoo colombien. Il s’est basé sur l’Habeas corpus, afin de plaider contre son enfermement illégal.

Une pétition en ligne a été lancée afin de s’opposer au massacre des hippopotames et de trouver des mesures alternatives. Pour signer : https://www.thepetitionsite.com/fr-fr/741/636/634/

Pour aller plus loin :

https://www.youtube.com/watch?v=6UHFHT1WhPc

https://www.youtube.com/watch?v=VqhI2OYLWwQ

Sources :

https://aldf.org/article/animals-recognized-as-legal-persons-for-the-first-time-in-u-s-court/

https://docs.justia.com/cases/federal/district-courts/ohio/ohsdce/1:2021mc00023/261265/2

https://www.law.cornell.edu/uscode/text/28/1782

https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/la-vie-de-reve-des-hippopotames-de-pablo-escobar_103601

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippopotames_de_Pablo_Escobar

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippopotamus_amphibius

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/animaux-science-decalee-hippopotames-pablo-escobar-ont-ils-provoque-catastrophe-ecologique-79490/

https://worldanimalsvoice.com/2021/11/03/escobars-cocaine-hippos-have-legal-personhood-and-are-not-allowed-to-be-shot/

https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2021/10/28/la-justice-americaine-accorde-des-droits-aux-hippopotames-de-pablo-escobar_6100251_4832693.html

https://www.fondation-droit-animal.org/colloque-2019-droits-et-personnalite-juridique-de-lanimal/