La proposition de loi pour les animaux torpillée en commission au Sénat

Après des années de combat, la proposition de loi « Lutte contre la maltraitance animale » pourrait avoir des conséquences fortes pour la faune sauvage captive. L’Assemblée nationale était parvenue à l’adoption d’un texte qui offrait une véritable opportunité pour la France de rattraper son retard en matière de condition animale. Pour autant, lors de son passage en commission au Sénat le 22 septembre dernier, la rapporteure, Madame Chain-Larché, a détruit en une matinée le travail des députés et des associations dont Code Animal. Les débats en commission se sont déroulés à huis clos, pour autant nous avons suivi de très près le déroulement de la séance sur le site internet du Sénat. En parallèle, un sondage publié le 22 septembre dans le journal Le Parisien, 84 % des français estiment en effet que la protection animale est une cause importante et 90% se disent favorables à l’adoption de cette proposition de loi…

 

La Liste positive (article 4 quater) avait été instaurée lors des débats dans l’Hémicycle sous l’impulsion de Code Animal. La liste positive, déjà adoptée en Belgique notamment, permet de lister les espèces exotiques pouvant être détenues en tant qu’animal de compagnie. Actuellement, c’est l’arrêté du 8 octobre 2018 qui liste les espèces ne pouvant être détenues, ainsi par déduction, toutes celles qui n’y figurent pas peuvent l’être. Il s’agit donc d’un véritable fourre-tout, ce à quoi la liste positive pourrait remédier.

Des incohérences et erreurs se sont également glissées dans le texte issu de la commission. Aussi, il n’existe par exemple pas de races ou de variétés pour la faune sauvage. Cette précision est importante pour éviter un non-sens scientifique. Ces maladresses intellectuelles auraient pu être évitées en conservant par exemple la rédaction du texte de l’Assemblée nationale ou en consultant des spécialistes du domaine — dont Code Animal fait partie.

 

L’article 5 et suivants, relatif aux annonces lors de la cession d’animaux de compagnie, fut la lumière de cette sombre journée. Il s’agit de l’un des seuls articles concernant, notamment, la faune sauvage qui n’a pas été vidée de sa substance, mais qui a même été renforcé. Nos amendements, portés notamment par la sénatrice Boulay-Espéronnier visant à interdire la mention « satisfait ou remboursé » ou encore les envois postaux d’animaux ont été adoptés. Ces pratiques, à l’évidence opposé à la considération du bien-être et de la sensibilité de l’anima ne sont à l’heure actuelle pas interdites. Il nous semblait ainsi évident d’agir en ce sens pour renforcer et protéger au mieux les NAC encore trop méconnus du public et utilisés comme objet de décoration ou de divertissement (un animal ne représente pas une passion, il est un être vivant).

 

Le chapitre 3, relatif aux spectacles avec animaux sauvages est la thématique brûlante de cette proposition de loi. En effet, Code Animal, dans le cadre de sa campagne pour un cirque sans animaux sauvages, a été la première association à dialoguer avec les mairies afin que les communes soucieuses du bien-être de la faune sauvage captive, puissent montrer leur opposition à l’arrivée des cirques sur leur territoire. Plus de 430 communes, dont Paris, Marseille et Strasbourg, mais aussi toute la région du Centre-Val-de-Loire, ont adopté notre vœu symbolique et demandent au gouvernement une interdiction nationale concrète.

Ce travail de longue haleine semblait avoir porté ses fruits lorsque Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique avait annoncé l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, mais sans nouvelles du Gouvernement, cette interdiction s’est inscrite dans la proposition de loi grâce à la députée Romeiro-Dias. Le Ministère a fait un recul d’ailleurs en interdisant certaines espèces et non toutes !

Madame Chain-Larché est revenue en arrière. Alors que les demandes sociétales sont fortes, la sénatrice semble déconnectée de la réalité et sa volonté à agir en faveur de la condition animale était claire : conservons une vision anthropocentrée de nos rapports avec les animaux tout en allant au cirque !

 

Selon le texte adopté cette semaine, l’interdiction de l’utilisation des animaux sauvages dans les spectacles ne se limiterait plus qu’à quelques espèces, sous prétexte que la loi encadre déjà assez bien leur détention (« si les conditions de détention et d’itinérance permettent d’assurer que les besoins de l’animal sont remplis, il n’y a pas de motif pour les interdire »), mais surtout, que les spectacles représententeraient « une dimension pédagogique ». Faudra-t-il rappeler à Madame la rapporteure que les lois sont faites pour être améliorées et adaptées aux attentes sociétales, aux recherches scientifiques, à l’éthique ?

 

Les justifications apportées par ses amendements représentent une vision archaïque de nos rapports avec les animaux et semblent à des années-lumière des articles scientifiques. Il faut arrêter de prendre les considérations humaines avant les considérations des autres animaux : une profession, qui représente une maigre tranche de la société, peut être accompagnée pour une reconversion. Un animal lui, ne se remettra difficilement voire jamais des troubles causés par la vie qu’il aura menée dans un cirque. Encore aujourd’hui des éléphants ou de fauves provenant de cirques souffrent de stéréotypies alors qu’ils sont dans des structures plus grandes et qu’ils ne subissent pas le calvaire de la route, des tours, de la musique et des projecteurs. De plus, le public déserte de plus en plus les chapiteaux avec des animaux sauvages. Pour preuve : les arrêts des tournées des cirques, des reconversions de spectacles sans animaux, etc.

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L’article 12 bis traite des structures d’accueil, une disposition sur laquelle Code Animal avait fourni beaucoup d’efforts afin d’apporter une définition et un cadre juridique strict pour éviter les dérives et mauvaises intentions. Malgré quelques coquilles rédactionnelles, nous sommes heureux de voir que cet article va plus loin que le texte adopté à l’Assemblée nationale.  

 

S’ajoute à cela, le retour sur l’interdiction de l’exploitation des animaux sauvages dans les discothèques, les évènements festifs et sur les plateaux télévisés (article 13). Code Animal souhaite étendre cette prohibition aux contacts avec des espèces sauvages (comme c’est le cas avec les ours par exemple) et aux spectacles privés (comme nous avons récemment pu le voir sur la toile avec des tigres présentés dans des cages lors d’un évènement organisé par un particulier – images diffusées par Hugo Clément). Mais Madame Chain-Larché a souhaité maintenir la présentation d’animaux lorsque celle-ci ne se ferait pas en lieu non clos destiné à accueillir du public et dont la vocation sera pédagogique. Également le second paragraphe sur « l’extraction des animaux sauvages de leur milieu naturel » est incompréhensible…

Une aberration. Des formulations quelques peu fragiles pour protéger des exploitations telles que le Puy du Fou… Où se trouve la position dogmatique ?

 

Sur le rapport de la rapporteure à la suite des débats des sénateurs en commission

Madame Chain-Larché n’a cessé de parler de « renforcer le lien entre animaux et humains » or il ne conforte que la vision anthropocentrée qui prédomine déjà notre droit, mais surtout notre société, où l’humain est supérieur à l’autre animal et peut par conséquent, en disposer à sa guise.

Nous sommes en 2021, et en lisant le rapport ce n’est pas toujours très clair tant les propos sont archaïques et scientifiquement erronés. Peut-être s’agirait-il de s’intéresser en profondeur à un tel sujet dont les conséquences peuvent être fortes plutôt que de survoler vulgairement le sujet.

Il sera même question « meilleure efficacité » des mesures adoptées en commission, alors que la grande majorité des mesures concernant la faune sauvage ont été détricotées. Quelle déception ! Code Animal attendait plus de rigueur de la part du Sénat.

 

Également, sur l’article 12, le rapport de Madame Chain-Larché se concentre parfois beaucoup trop sur les parcs zoologiques alors que ces derniers ne sont à aucun moment évoqués par cette proposition de loi. L’article 12 sur l’interdiction de détention des animaux à des fins de spectacles vise expressément les cirques et les delphinariums. Pire, l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) avait pris position en 2017 contre l’adhésion des cirques au sein de ce syndicat car leurs exploitations étaient diamétralement opposées.

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Cette disposition « traite donc presque de cas individuels » (car il n’y aurait environ que 800 animaux non domestiques dans les cirques itinérants, une vingtaine de cétacés et quatre orques – selon les déclarations des cirques enregistrés dans IFAP).

Est évoqué « un risque constitutionnel non négligeable, car les interdictions prévues semblent disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Une fois de plus dans ce rapport, lorsqu’il est question de risque et d’inquiétude c’est uniquement lorsqu’il s’agit de l’humain et pour cause : « les interdictions prévues semblent disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi, et marquent une rupture d’égalité de traitement entre acteurs similaires. » Tout cela est justifié par la « philosophie » de la rapporteure, qui pourrait faire sourire si elle n’était pas aussi archaïque, qui « n’adhère pas » à cet « éloignement de l’homme et de l’animal ». Le dernier rapport de l’IPBES justifiait les zoonoses et l’état dramatique de notre planète pour cette même raison, ce sont nos rapports non naturels avec les animaux. Les « interactions enrichissantes » pour Madame la rapporteure sont donc en accord avec des années de violences envers la faune sauvage, car il ne faut pas être naïfs : pour faire de tels mouvements, exécuter de tels tours : les animaux sont domptés et dressés avec des outils coercitifs et privés de nourriture pour être récompensés pendant le « spectacle » afin de rester dociles, soumis.

Sur le même thème il est évoqué une « « présomption de maltraitance » », la « joie de vivre » des dauphins, mais surtout, les termes de « critères objectifs » pour justifier sa décision. Aujourd’hui, les associations sont de plus en plus nombreuses à dénoncer le mal-être des animaux dans les cirques, comme les personnalités politiques, parfois même d’anciens dresseurs, mais surtout une opinion publique écrasante qui ne veut plus de ces spectacles.

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De plus, les arguments habituels sont relevés : encadrement strict, pédagogie, conservation… La rapporteure semble s’être un peu perdue pour en arriver à défendre la détention d’animaux sauvages dans les cirques alors qu’un nombre important d’études, de scientifiques affirment que les cirques itinérants ne peuvent assurer le bien-être de ces espèces. On voit difficilement la pédagogie lorsque des fauves sont entraînés à courir sur la piste pour ensuite sauter des obstacles ou se lever sur les pattes arrières. Comment expliquer à un enfant que cet animal vit par exemple dans son habitat naturel avec une dizaine de ses congénères, parcourt des dizaines de kilomètres et a des besoins accrus de liens sociaux alors que cette même espèce est présentée en train de faire le poirier, s’assoir sur un tabouret ou sert de tremplin ? S’ajoute l’état de santé de ces animaux, stéréotypies, blessures, espaces exigües…

 

Lorsque la question de l’interdiction de détention et reproduction des dauphins est évoquée, la rapporteure se demande « Pourquoi légiférer sur les dauphins ? S’agit-il d’un animal supérieur aux autres ? Si l’on interdit les dauphins dans les delphinariums, pourquoi ne pas interdire les poissons rouges dans les bocaux ? »

Un tel niveau de mépris au vu des enjeux ne peut être uniquement lié à de l’ignorance, Madame la rapporteure n’est clairement pas politiquement disposée à protéger les animaux de maltraitance, mais plutôt à l’encadrer, l’autoriser, pourvu qu’elle soit utile à l’humain. La qualité des débats est médiocre. De plus, cette distinction entre espèces ne pose plus problème lorsqu’elle concerne les cirques dont l’interdiction ne visera qu’une catégorie d’animaux « dont le degré d’incompatibilité de leur détention en itinérance avec leurs impératifs biologiques est le plus élevé ». Ainsi, ce qu’il faut comprendre c’est que ceux dont le degré d’incompatibilité est constaté, mais pas assez important, l’exploitation sera autorisée, quid du principe de précaution. Quels seront donc les critères qui permettront de détenir un animal sauvage alors même que son incompatibilité avec la vie en cirque itinérant est avérée ? Cette liste ne sera bien sûr pas prise par le législateur, mais le ministère : rien de concret pour le moment.

 

Les mêmes arguments fallacieux ont été repris s’agissant de l’article 14, à savoir les montreurs d’ours et de loup. Cette activité serait déjà en effet suffisamment encadrée par la loi et l’interdiction serait redondante avec l’article 12, notamment car elle ne viserait qu’« une vingtaine d’animaux à peine. »

Rappelons que la loi vaut également pour l’avenir et que si une personne obtenait une dérogation préfectorale, cette pratique archaïque perdurerait. Madame la rapporteure retourne ensuite vers la voie réglementaire, alors même que cette interdiction peut être prise, maintenant, par le législateur.

 

En conclusion, cette première discussion au Sénat aura eu pour la faune sauvage captive, le mérite de rappeler que les représentants n’étaient parfois pas représentatifs de la population française, loin de la réalité que les associations côtoient sur le terrain et visiblement pas à jour en matière d’avancées scientifiques. Peut-être serait-il bon de rappeler qu’un être vivant, qu’il soit d’une autre espèce n’est pas un objet de divertissement dont peut se prévaloir l’humain.

Les efforts à fournir pour le 30 septembre et le 1er octobre sont gargantuesques, maintenant que la proposition a été en grande partie vidée de sa substance s’agissant de la faune sauvage captive. Toutefois, nous ne baissons pas les bras et nous espérons que les sénateurs seront en audience publique plus assidus et soucieux du bien-être animal que Madame la rapporteur car les lobbys semblent eux déjà bien présents dans les débats.

Il est nécessaire de prendre des dispositions concrètes et rédigées en des termes scientifiquement justes, il ne faut pas être timide en matière de condition animale lorsque la France est autant à la traîne !

Pénélope EHLES