La crise du Covid 19 va-t-elle bannir l’élevage des fourrures de visons en Europe ?

Code Animal co-signe une lettre à la commission européenne sur la situation des visons (Neovison vison) pendant la pandémie du covid19 avec son partenaire Eurogroup for Animals.

Lire la lettre ouverte à la commission européenne

Les fermes à fourrure

L’élevage d’animaux pour leur fourrure n’a commencé en Europe que dans les années 1930. Certaines espèces, telles que les rats musqués et les ragondins, n’ont pas réussi à survivre et / ou ont produit une fourrure de mauvaise qualité en captivité et de nombreux individus ont ensuite été relâchés dans la nature. Les populations de ces espèces non indigènes ont pu s’établir et elles sont maintenant communément considérées comme des espèces exotiques envahissantes compte tenu de leur impact sur la biodiversité indigène.

Plus de 100 millions d’animaux sauvages dans le monde, y compris des visons, des renards et des chiens viverrins, sont tués chaque année pour leur fourrure. Environ 85% de ces animaux sont produits dans des fermes d’élevage intensif et ils sont forcés de vivre dans des cages de généralement 90x30x45cm.

Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), l’Europe compte environ 2 750 fermes de visons et elle produit plus de 27 millions d’animaux pour l’utilisation de leur peau tous les ans. 

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Quelle est la situation ?

Comme pour de nombreuses facettes de cette maladie mortelle, on ne sait toujours pas grand-chose de la propagation du SRAS-CoV-2 dans les fermes à fourrure.

Ce qu’on peut dire en revanche c’est que les élevages de visons (Neovison vison) pour la fourrure en Europe serviraient d’incubateurs pour le virus et pourraient lui permettre de muter et donc de diminuer les chances pour le vaccin d’être 100% efficace.

Les Pays-Bas ont été le premier pays à signaler une infection de Covid19 dans un élevage de vison dans le Noord Brabant, une province au cœur de l’industrie de production de visons, mais aussi l’épicentre des flambées de COVID-19 dans le pays à ce moment-là, fin avril 2020, établissant ainsi qu’une transmission interhumaine et animal-humain pouvait se produire. Depuis, des infections similaires ont été signalées : 70 aux Pays-Bas, 10 en Suède, 10 en Grèce, 1 en Espagne, 1 en Italie, 1 en France, 1 en Lituanie.

Selon les publications de l’Union Européenne, le 5 novembre, le Danemark avait signalé 214 cas d’infections humaines de virus déviants du Covid19 liées au vison ainsi que des animaux infectés dans plus de 200 élevages. Pour répondre à cette crise et dans la précipitation, le gouvernement ordonne l’abattage de millions de visons, dont les images ont fait le tour des médias d’Europe. Selon un article de 20 Minutes, les fosses massives et communes ont de graves conséquences sur l’environnement : « Remontées de terre sous la pression accumulée des gaz de pourrissement, les carcasses de visons n’y sont plus recouvertes que par une fine couche de chaux et une terre très sablonneuse. […] Les bêtes qui resurgissent ont de surcroît été enterrées à 200 m d’un lac, soit 100 m de moins que les recommandations. Ce qui fait craindre des problèmes de pollution au phosphore et à l’azote. »

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Selon les études publiées à ce jour, il semblerait que le virus proviendrait des employés des élevages déjà infectés par le virus. Celui-ci se transmettrait à l’animal qui lui sert ainsi de réservoir (infectant également les cellules de son système respiratoire) et enfin être transmis dans sa nouvelle forme chez l’humain. Les espèces de mustélidés comme les visons ou les civettes seraient particulièrement sensibles à cette forme de virus. 

Le 12 novembre 2020, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) a publié une déclaration reconnaissant que les animaux, tels que le vison, pourraient devenir un réservoir du SRAS-CoV-2 ce qui pourrait poser un risque permanent pour la santé publique et entraîner de futurs effets de contagion sur l’humain.

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Ces découvertes ont conduit les gouvernements à organiser la mise à mort de plusieurs millions d’animaux pour tenter d’endiguer l’épidémie. La décision du gouvernement néerlandais de faire passer l’interdiction de l’élevage d’animaux à fourrure de trois ans à un arrêt désormais prévu pour mars 2021 est à saluer.

Par ailleurs, l’une des principales raisons qui ont précipité cette décision de la part du Gouvernement des Pays-Bas a été les conclusions des rapports scientifiques sur les clusters dans les fermes à visons du pays. Lors de l’analyse du séquençage du génome entier pour enquêter sur les épidémies dans 16 fermes à fourrure, les chercheurs ont constaté, après la confirmation de présence du SRAS-CoV-2 dans les élevages de visons, que 66 des 97 (67%) employés de ces fermes testés se sont révélés infectés par le SRAS-CoV-2. Plus inquiétant, les analyses génétiques du virus ont démontré que ces personnes étaient infectées par une forme mutée du virus SARS-CoV-2 et que cette forme était finalement la même que celle retrouvée chez les visons eux-mêmes infectés.

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Outre le problème sanitaire, la souffrance des animaux

Les conditions de détention des animaux dans ces fermes sont atroces. Les visons sont des animaux non domestiques et semi-aquatiques qui mènent une existence solitaire dans les milieux naturels. Les cages grillagées ne peuvent en aucun cas satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux comme creuser pour chercher de la nourriture, nager, permettre des comportements sociaux, de reproduction, etc. L’environnement artificiel et l’enfermement provoquent chez les animaux une frustration et une détresse mentale exprimées par exemple via des comportements stéréotypés, de l’automutilation ou encore des comportements agressifs envers les congénères.

Rappelons que dans ces fermes, les visons sont tués en moyenne après 6 mois, alors que dans les milieux naturels, ils peuvent vivre jusqu’à 6 ans.

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Les symptômes du virus chez les visons seraient assez similaires que chez les humains : détresse respiratoire qui provoque la mort à des taux alarmants.

Étant donné la densité élevée des animaux et les conditions de stress qu’ils endurent dans ces fermes, il semble que le virus mute rapidement chez les visons. Sur la base de ces facteurs, les élevages de visons présentent un danger pour la santé publique.

De plus, la production de ces animaux est faite uniquement dans le but de s’approprier leur peau pour l’industrie de la mode (non vitale pour notre espèce). Cette industrie oblige les animaux à une vie courte et misérable dont la fin est écrite par avance et inclut un gazage à mort pour éviter d’abîmer leur peau avec du sang.

Rappelons qu’il existe aujourd’hui de nombreuses alternatives à l’exploitation de ces êtres sentients.

Si une mise à mort doit être organisée par les États pour les raisons mentionnées ci-dessus, ce doit être la dernière et il est urgent d’engager une transition pour la fermeture de ces endroits qui ne sont plus aujourd’hui en phase avec les valeurs prônées par nos sociétés.

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Un débat sociétal

Aujourd’hui la condition animale est devenue un sujet sociétal important et désormais débattu dans les arènes politiques.

En effet, l’élevage d’animaux à fourrure a déjà été interdit et / ou est actuellement en cours d’interdiction dans 8 États membres: l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas, Luxembourg, Slovénie, République tchèque, Slovaquie et Croatie.

Des propositions législatives d’interdiction de l’élevage d’animaux à fourrure sont actuellement envisagées et/ou annoncées dans 6 pays : la Pologne, la Lituanie, la France, l’Irlande, la Bulgarie et l’Estonie.

D’autres pays ont mis en place des mesures de restriction en parallèle de ces interdictions : l’Allemagne a adopté des réglementations plus strictes permettant finalement l’arrêt progressif de l’élevage de tous les animaux à fourrure, la Suède a également interdit la production de renard et de chinchilla pour la fourrure ; La Hongrie vient d’annoncer une interdiction de la production de vison, renard, furet et ragondin par mesure de précaution en raison du bien-être animal.

Photo crédit : Gijé photo

Les autres animaux détenus et produits pour leur fourrure

A ce jour, la recherche, les tests et le débat politique concernant les “spill-over” du COVID-19 sont principalement axés sur les élevages de visons.

Cependant, Eurogroup for Animals note que d’autres espèces sont également exploitées pour la production de fourrure en Europe, en particulier les renards et les chiens viverrins. Le suivi de ces élevages n’a pas fait l’objet d’articles médiatiques à notre connaissance et nous ne savons pas si des mesures ont été prises par les États membres (autorisant encore ce type d’élevages) afin de les surveiller et de les tester au COVID-19.

Il est pourtant admis que les chiens viverrins sont également sensibles aux coronavirus et que cette espèce peut avoir été un hôte intermédiaire pour le virus SRAS-CoV.  Un article scientifique plus récent a conclu que cette espèce est sensible au SRAS-CoV2 et peut le transmettre efficacement et peut servir d’hôte intermédiaire pour ce virus.

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Photo crédit : Humane Society

En ce qui concerne les renards, des chercheurs en Chine ont retrouvé des renards roux vendus sur un marché d’animaux sauvages et eux-aussi infectés par le SRAS-CoV-2.

Les scientifiques ont découvert que les cellules hôtes du renard étaient capables de se lier au SARS-CoV-2, qui cause le COVID-19, et au SARS-CoV, qui provoque le SRAS.

Sources : PubMed.NCBI & NCBI

Aucune étude n’a encore été menée sur la sensibilité du chinchilla pour le virus, mais il ne peut être exclu qu’ils présentent un risque éventuel.

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Crédit image : Pixabay

La commission européenne

Selon les informations des ONG, la commission européenne serait en train de préparer un document de travail concernant la production de visons pour la fourrure et le développement du virus Covid-19.

A ce sujet, une DÉCISION D’EXÉCUTION (2020/2183) a été prise par la commission le 21 décembre 2020 et demande aux états membres d’effectuer un réel suivi quand au développement d’une infection par le SARS-CoV-2 chez des visons et d’autres animaux de la famille des mustélidés et chez des chiens viverrins.

Crédit image : Pixabay

Problématiques à étudier

La situation sanitaire actuelle a démontré des défauts dans le suivi des animaux sauvages et de ces fermes d’élevage chez certains états-membres de l’UE. En effet, certains pays ne connaissent pas le nombre exact de fermes à fourrure à l’intérieur de leurs frontières. A titre d’exemple, à la mi-octobre, le Danish Veterinary and Food Authority a donné le chiffre de 1 137 fermes de visons sur leur site internet, tandis qu’un mois plus tard, le nombre était passé à 1 147. De même, les autorités suédoises ne semblent pas savoir combien de fermes à fourrure se trouvent sur leur territoire, le total variant entre 34 à 40.

Ce manque de suivi soulève de sérieuses inquiétudes quant à la capacité des autorités compétentes à mettre en œuvre efficacement un programme de surveillance COVID-19, sans mentionner les contrôles quant aux conditions de détention de ces visons dans ces fermes.

Aux termes du règlement (CE) 1099/2009, les éleveurs d’animaux à fourrure sont tenus d’informer les autorités avant de commencer l’abattage pour permettre une inspection.

Eurogroup for Animals souligne également l’impact de cette situation sur le vison européen puisque l’existence même des fermes à fourrure comme réservoirs potentiels de maladies pose un risque pour la faune indigène.

Le vison d’Amérique est une espèce dite exotique envahissante. Les fermes à fourrure ont toujours été la voie clé de l’introduction de cette espèce dans les milieux européens. Le vison d’Amérique entre donc en concurrence avec le vison d’Europe occupant tous les deux la même niche écologique, ce qui entraîne la perte de l’espèce indigène, moins compétitive face à l’envahisseur.

Or, si l’infection par le SRAS-CoV-2 se répand dans les mustélidés sauvages, ceux-ci ont le potentiel de devenir un réservoir permanent d’infection pour les humains et d’autres espèces animales. Un tel scénario a déjà été vu avec la rage chez les ratons laveurs et les mouffettes.

Rappelons par ailleurs que le vison européen est une espèce en danger critique d’extinction et éteinte dans la plupart de son aire de répartition d’origine, en partie à cause de la compétition avec le vison américain.

Photo crédit : Anna Rozzi – VISON D’EUROPE (Mustela lutreola)

Recommendations Eurogoup for Animals, Humane Society International/Europe, Fur Free Alliance (FFA)

Nous appelons la Commission européenne à adopter rapidement les actions d’urgence suivantes pour garantir une approche harmonisée de la question du vison et du COVID-19 dans l’UE:

  • Nous exhortons la Commission à adopter une approche de précaution et à suspendre la production de visons dans tous les états-membres. Cela impliquerait nécessairement qu’aucune reproduction ni acquisition pour les élevages de visons aussi longtemps que le virus SARS-CoV-2 persiste.
  • Dans le cadre de développement de cas de maladie infectieuse, y compris le développement de zoonoses, la Commission dispose des pouvoirs nécessaires pour adopter des mesures de protection d’urgence.
  • Tout transport transfrontalier de visons vivants au sein de l’UE devrait être interdit et les États membres devraient interdire le transport de visons vivants entre les exploitations à l’intérieur de leurs frontières, pendant la même période.
  • L’importation de visons vivants vers les États membres de l’UE en provenance de pays tiers, ainsi que l’exportation de visons vivants hors de l’UE devrait être interdite pendant la même période.
  • L’exportation et l’importation de peaux de vison brutes à la fois dans l’UE et à destination / en provenance de pays tiers devraient être interdites pendant la même période.
  • Jusqu’à ce que tous les élevages de visons aient cessé leurs activités, les États membres devraient être tenus de mettre en œuvre un programme COVID-19 obligatoire pour effectuer des tests diagnostiques (avec séquençage obligatoire du génome) chez les visons et autres espèces d’élevage à fourrure, telles que les chiens viverrins et les renards, y compris l’enregistrement obligatoire de toutes les opérations mises en place dans l’élevage de la fourrure.
  • Veiller à ce que tous les abattages de visons soient effectués sous la supervision des autorités.
  • Veiller à ce qu’un soutien financier proportionné soit mis à disposition exclusivement pour couvrir les frais pendant la transition vers l’interdiction des exploitations d’élevage de visons, de reconversions professionnelles.
  • Adopter des restrictions préventives sur la reproduction, le transport et l’exportation / l’importation de chiens viverrins et de renards vivants, ainsi que les pelleteries brutes de ces espèces, afin d’éliminer tout risque potentiel de transmission de maladies lié au commerce de ces espèces.

Alexandra Morette

Photo credit : American Mink – Paul Jones

Sources

https://www.eurogroupforanimals.org/news/leading-animal-protection-organisations-call-permanent-closure-fur-farms-europe

https://www.20minutes.fr/sante/2916879-20201125-coronavirus-danemark-carcasses-milliers-visons-enterres-masse-refont-surface

Aller plus loin :

https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/documents/RRA-SARS-CoV-2-in-mink-12-nov-2020.pdf

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020D2183&from=EN

https://science.sciencemag.org/content/early/2020/11/09/science.abe5901