EQUATEUR : LES ANIMAUX SAUVAGES OBTIENNENT DES DROITS JURIDIQUES

Dans un arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle de l’Équateur le 27 janvier 2022, la Cour a reconnu des droits aux animaux sauvages dans leur globalité. La décision a été validée par 7 voix pour et 2 voix contre. La Cour constitutionnelle a ainsi appliqué à la faune animale les « droits de la nature », auparavant inscrits dans la constitution en 2008.

L’Équateur, pays pionnier en matière de droit environnemental

Il faut remonter quelques années en arrière, en 2008, lorsque l’Équateur devient le premier pays à élever des droits de la nature au rang constitutionnel. Par cette décision, la Cour Constitutionnelle a estimé que la population de cette nature avait le droit de vivre dans un environnement sain.  Ces droits de la nature ont donc obtenu une valeur et une protection juridique au plus haut degré. La nature est donc devenue une entité juridique depuis 2008.

Mais ce terme de « droits de la nature » pouvait laisser place à toute interprétation, ne sachant pas si ces droits englobaient aussi bien la faune sauvage que la faune animale. Rien ne laissait clairement supposer que ces droits pouvaient s’appliquer à tout animal ou groupe d’animaux au sein de la nature. Avec la décision rendue au début de cette année 2022, cette question a été tranchée.

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Le contexte de cette décision

Cette reconnaissance de droits juridiques aux animaux sauvages est une première mondiale car ces droits sont consacrés par la plus haute juridiction, la Cour Constitutionnelle. En effet, elle avait toujours reconnu simplement des brides de droits, ou des droits à certaines catégories d’espèces animales et végétales. Aujourd’hui on reconnait des droits juridiques distincts aux animaux sauvages, mais surtout des droits qui ont une valeur constitutionnelle. 

Malheureusement, comme la plupart des grandes décisions importantes, cette reconnaissance de droits fait suite à la tragique histoire d’Estrellita.

En 2019, la juridiction équatorienne avait été saisie afin de trancher sur le cas d’une femelle singe laineux, surnommée Estrellita et maintenant décédée il y a plusieurs mois.

L’histoire se passe au début des années 2000, lorsque ce grand primate d’Amérique du Sud a été capturé illégalement dans son environnement naturel, âgé de tout juste un mois, par la bibliothécaire Ana Beatriz Burbano Proaño. Pendant 18 ans, elle l’a gardé au sein de sa famille et Estrellita a appris à communiquer et vivre avec eux, elle a pris les mêmes habitudes, notamment par la gestuelle et les sons, et vivait à leur rythme. Elle faisait partie de leur famille, bien que cela soit prohibé, soulignons-le une fois encore ici.

Seulement, Estrellita a fini par être enlevée à sa famille par les autorités locales et a été placée dans un zoo, car rappelons-le, détenir un animal sauvage chez soi, sans autorisation, est interdit. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le pauvre primate décède dans sa cage au zoo des suites d’un arrêt cardiaque, sûrement dû au stress lié au changement d’environnement et d’habitudes après tant d’années.

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Peu avant sa mort, la bibliothécaire Ana Beatriz Burbano Proaño avait décidé de poursuivre en justice les autorités, sous forme d’habeas corpus, pour la récupérer. Les arguments de son avocat étaient simples, changer Estrellita d’un environnement familier auquel elle était habituée depuis son plus jeune âge pouvait avoir de graves conséquences sur elle et son comportement. Il s’est appuyé sur la détresse et le traumatisme qu’Estrellita devait ressentir en ayant été arrachée à sa famille. Pour faire valoir de possibles droits à Estrellita, la défense s’est appuyée sur des preuves scientifiques de la complexité cognitive et sociale des singes laineux. L’objectif était ainsi de démontrer que l’animal devrait pouvoir jouir d’un droit à la liberté corporelle.

Ana Beatriz Burbano Proaño n’a jamais pu récupérer le singe laineux, décédé, et elle a été reconnue coupable d’avoir capturé l’animal. La cour a rappelé que « la domestication et l’humanisation des animaux sauvages sont des phénomènes qui ont une grande incidence sur le maintien des écosystèmes et l’équilibre de la nature, soutient la juridiction. Elles provoquent le déclin progressif des populations animales »

En revanche, et c’est là que cette décision du 27 janvier 2022 est importante, les juges constitutionnels ont admis que les autorités locales avaient méconnu et violé les droits de la femelle singe. Estrellita est donc à l’origine de la reconnaissance des droits des animaux sauvages au plus haut degré de juridiction, et cela a permis également d’ouvrir la voie à une plus grande protection de la biodiversité sur le continent. Nous le savons également, les juridictions des autres pays ont tendance à suivre les tendances positives en matière de protection de la faune. 

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Les conséquences de cette décision

Par cette décision, la Cour constitutionnelle équatorienne a attribué à la biodiversité « un droit d’exister, de s’épanouir et d’évoluer ».  C’est une décision complète faisant de l’Equateur le premier pays à élever les droits des animaux sauvages au rang constitutionnel. L’arrêt n’assimile pas les animaux à des êtres humains, mais leur accordent le droit d’être libres dans ce contexte des processus écologiques et des interactions entre espèces. Les animaux sont des sujets de droits, protégés par les droits de la nature. Pour la première fois, il est reconnu les droits d’une entité abstraite qu’est la faune sauvage, pour en tirer des conséquences au profit d’un seul individu, Estrellita.

De manière plus précise, cela leur accorde le droit d’être protégés de la chasse, de la pêche, de la sylviculture, mais également de ne pas être capturés, commercialisés ou échangés pour des trafics d’animaux. Les activités humaines doivent se faire dans le respect des lois protégeant les animaux, et ces derniers ne doivent pas être destinés à une « utilité humaine ».

Selon le professeur J-P. Marguénaud, le premier droit qui devrait découler de cette décision est le droit, pour les animaux sauvages, de ne pas être retirés de leur milieu naturel.

Pour aller plus loin, ce nouveau statut juridique va obliger toutes les institutions légales de l’Equateur à prendre cela en considération, et ainsi adopter des lois allant dans la volonté de cette décision constitutionnelle. On pourra notamment citer l’exemple des zoos, qui doivent chercher un moyen de réinsertion afin de ne pas les détenir en captivité dans un seul but financier. En revanche, certaines pratiques resteront autorisées, comme l’élevage ou la pêche à des fins d’alimentation, et non de hobby.

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Si l’on peut reprocher une chose à cette décision, ce serait que les juges n’aient pas consacré la sensibilité des animaux, pour permettre par la suite d’étendre la portée de la décision à d’autres animaux, y compris domestiques. Néanmoins, il y a une prise de conscience qui commence à se produire et qui brise les silos du droit animalier et du droit environnemental, et cette affaire Estrellita est un grand pas vers ce développement.

Et les autres pays ?

De nombreux pays disposent de droits pour l’environnement dans leurs textes juridiques, et plusieurs juridictions les ont reconnus (fleuves ou éléments de la nature), mais il ne s’agissait jamais de droits concrets ou même impliquant les animaux vivant dans ces lieux.

Les pays qui ont accordé une protection juridique à la nature sont peu nombreux, mais on peut citer le Panama, le Chili, le Canada ou encore la Nouvelle-Zélande. Ces pays l’ont fait à travers leur constitution ou leur système judiciaire. Ils ont souvent des traités, des dispositions ou des lois qui accordent aux animaux sauvages une certaine protection, bien que celle-ci ne soit jamais élevée à un rang constitutionnel. 

On relève quand même quelques cas, bien qu’isolés, d’animal ayant pu se voir attribuer des droits subjectifs par certaines juridictions constitutionnelles. On peut citer les exemples de la femelle orang-outan Sandra, et de la chimpanzé Cécilia, toutes les deux localisées dans des zoos en Argentine et libérées sous le principe de l’Habeas Corpus, principe normalement appliqué qu’à une personne humaine.

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Il y a aussi le cas des chimpanzés Hercules et Léo aux Etats Unis. La cour Suprême de l’Etat de New York a considéré qu’ils avaient le statut de « personnes » bien que « non humains », car ils représentent des entités avec assez de capacités intellectuelles pour bénéficier de certains droits.

Ce sont des décisions sur lesquelles peuvent ensuite s’appuyer d’autres juridictions mais surtout les associations de défense animale, pour défendre les droits d’autres animaux considérés « intelligents », tels que les dauphins ou les éléphants.

En France, la condition animale est en constance évolution, bien que jugée souvent trop lente et trop peu élargie. Les animaux ont longtemps été considérés comme des biens meubles jusqu’à une décision du 28 janvier 2015 dans laquelle l’Assemblée Nationale a reconnu les animaux comme des « êtres vivants doués de sensibilité ». Les animaux ont obtenu le statut civil légalement, mais il n’y a toujours aucune reconnaissance de leur personnalité juridique. Tant que cela ne sera pas fait, la protection des animaux ne pourra pas être totale et totalement respectée.

Anthony

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Sources :

30MILLIONSD’AMIS

MRMONDIALISATION.ORG

ULYCES.CO