Surveillance accrue du transport maritime, une solution au trafic illégal de la faune sauvage ?

Le braconnage est l’une des activités les plus destructrices de la faune sauvage. Que ce soit pour leurs vertus médicinales, la consommation de leur chair (la viande de brousse) ou encore pour en faire des objets de décoration (statuettes, bijoux, etc.), les animaux sauvages sont détruits massivement pour satisfaire les envies extravagantes d’une poignée d’humains. Le nombre de certaines espèces a drastiquement diminué, par exemple 90 % des pangolins ont disparu, les éléphants de Tanzanie ont en cinq ans (2009-2014) perdu 60 % de leur population. D’autres animaux sont sous la surveillance constante de rangers, comme c’est le cas pour les deux dernières rhinocéros blanches.

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Comment circulent les « produits » issus du braconnage ?

Plus de 90 % des échanges commerciaux se font par voie maritime, le mode de transport le plus utilisé pour la contrebande, et particulièrement vrai pour l’ivoire, les écailles de pangolin ou le bois. En termes de chiffres, en 2019, ce sont 90 tonnes d’écailles de pangolins et 15 tonnes d’ivoire d’éléphants qui ont été saisies sur des cargos se déplaçant entre Afrique et Asie.

Avec la pandémie, la voie maritime est d’autant plus empruntée, du fait de la diminution des transports aériens notamment.

Jusqu’alors, les trafiquants n’avaient alors que très peu de chance d’être arrêtés, faute de détection de leurs marchandises, manque de contrôles (par manque de moyens humains et logistiques) ou de la connaissance même de l’existence ou l’ampleur d’un tel trafic.

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Une lutte mondiale

L’UNDP, un programme des Nations Unies, lancé depuis 2000 pour la protection de la biodiversité, a récemment œuvré contre le trafic maritime en empêchant les livraisons et en interceptant les marchandises liées à la vente illégale de la faune et la flore sauvage. Il est soutenu financièrement par le GEF (Global Environnement Facility) et l’USAID et les 170 pays membres des Nations Unies qui luttent pour la conservation de la paix par la protection des territoires). Le but premier étant notamment de réduire le trafic entre l’Afrique et l’Asie, où il prédomine, et ainsi couper court à toute la chaîne de ce commerce illégal, notamment en permettant une coopération privilégiée et un renforcement des normes légales relatives à la vente de la faune et de la flore sauvage.

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Pour ce faire plusieurs partenaires : l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime (UNODC), la Royal Fundation du Duc et de la Duchesse de Cambridge (le prince William et Kate Middleton), la banque mondiale, TRAFFIC (une organisation à but non lucratif luttant pour la protection de la biodiversité et contre le trafic) ainsi que WWF (WorldWildlife), sans oublier les mesures normatives prises par les États membres de l’ONU. Récemment, l’USAID (L’agence étasunienne pour le développement international) a ajouté des fonds importants permettant de construire une coopération multisectorielle afin de réduire le trafic de l’Afrique de l’Est à l’Asie.

En effet, le commerce illégal est estimé entre 50 et 150 milliards de dollars de recettes par an, alimentant criminalité et instabilité étatique. Les autorités et transporteurs deviennent complices de ce trafic, le plus souvent involontairement. Les cargos transportent de l’ivoire d’éléphants, des cornes de rhinocéros ainsi que des écailles de pangolins. Ainsi, s’allier avec le secteur privé du transport est un impératif pour une lutte effective contre le braconnage.

Depuis décembre 2020, des cours en ligne et en présentiel ont été mis en place par l’Institute of Chartered Shipbrokers (un organisme professionnel pour les membres de l’industrie de la navigation commerciale) en collaboration avec l’UWTTF dans certains ports, des emplacements stratégiques du trafic faunique en Afrique et en Asie.

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La Déclaration de Buckingham palace : une étape décisive

Le succès de l’United for Wildlife Transport Task Force (les forces spéciales du trafic maritime), ont permis de récolter le soutien de plus de cent signataires à la Buckingham Palace Declaration. Après un travail de longue haleine aux quatre coins du monde, tant sur le plan juridique, que du transport et d’experts douaniers, la déclaration est un plan d’action renforçant la lutte contre le trafic. C’est un moment historique dans le combat contre le commerce illégal, une étape importante vers l’arrêt de l’utilisation de la voie maritime par les contrebandiers.

Les engagements soutiennent également massivement le secteur privé du transport marin, notamment en sécurisant les informations partagées sur les routes à haut risque: un meilleur système de sécurité permet la transmission d’informations essentielles entre le secteur du transport, les autorités douanières et de police compétentes, tout en renforçant le dispositif législatif en ce qui concerne les cargos suspectés d’alimenter le trafic faunique . La lutte doit donc se faire sur un plan multisectoriel pour être efficace. Ainsi, les compagnies signataires de la Déclaration de Buckingham Palace se sont engagées à jouer un rôle significatif dans le transport maritime servant le trafic du monde sauvage. Pour le Duc de Cambridge, il s’agit d’un évènement majeur dans la lutte contre l’extinction des espèces et le braconnage.

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En 2014, le Duc et la Duchesse de Cambridge ont annoncé la création d’une force spéciale concernant le transport, dans la lutte contre le trafic et dans le but de préserver la biodiversité. Onze engagements présents dans la Déclaration de Buckingham Palace permettent de soutenir l’industrie du transport et d’accroître la prise de conscience. À titre d’exemple, Royal Mail s’est associé aux forces de l’ordre afin de détecter et saisir tout envoi postal de « produits » issus de la biodiversité.

Les acteurs du transport maritime ont donc de plus en plus conscience des enjeux qui pèsent sur eux, car des cargos transportant des produits issus du braconnage causent d’importants retards et interruptions de leur activité en cas de saisine, les licences de transport peuvent être suspendues ou révoquées, et certains fournisseurs refusent par la suite de continuer à utiliser leurs services à cause des dommages causés ( retard d’acheminement de leurs marchandises et donc pertes économiques) et à la mauvaise réputation de ces transporteurs avec lesquels ils ne veulent plus voir associés leurs noms.

La Déclaration de Buckingham Palace est donc un « Win-Win » pour ces acteurs du secteur privé.

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Un combat organisé pour s’avérer efficace

Le 29 septembre 2020, lors de la 44ème convention FAL (Convention visant à faciliter le trafic maritime international), les propositions du gouvernement kenyan, préparé avec le soutien de l’UNDP, pour le développement de lignes directrices afin de prévenir et éradiquer le braconnage furent soumises et approuvées par l’International Maritime Organization (IMO), une organisation composée de 174 États.

Pour Steven Broad, le directeur de TRAFFIC, les cargos saisis entre l’Afrique et l’Asie (ivoire, bois, écailles de pangolin) ne sont « qu’une fraction de la réelle ampleur du problème et l’engagement pris aujourd’hui par l’IMO et les représentants gouvernementaux est un signe fort de la reconnaissance de l’importance de la collaboration interinstitutionnelle et intersectorielles afin d’agir efficacement sur le trafic. »

En effet, selon la Royal Fundation les saisies de trafic faunique ne représentent que 10 % du trafic total. La capacité à agir pour contrer le braconnage doit donc se faire à toutes les échelles (internationale, nationale et régionale) afin d’apporter une réponse qui permettra d’agir efficacement contre la destruction de la biodiversité.

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Le transport maritime privilégié durant la pandémie

À cause de la pandémie de la Covid-19, les contrebandiers se sont d’autant plusrabattus sur les envois par cargos, plutôt que via des transporteurs humains. Le nombre de passagers interceptés servant de transporteur a de fait considérablement baisser (250 en 2020, 659 en 2019 et 745 en 2018).

Sur le podium des trois plus grosses saisies, le ginseng américain est premier (46,4 tonnes contre 600 kilos l’an dernier) et en second et troisième les mâchoires et les vessies de Totoaba, un grand poisson argenté dont le braconnage massif est responsable de l’extinction du Vaquita et dont la saisine est huit fois plus importante que celle des 18 dernières années. Une telle augmentation intrigue, les autorités ont lancé une enquête à ce sujet. Une source évoque la possibilité que les mâchoires et vessies sont achetées par des collectionneurs sachant que ces produits onéreux peuvent être conservés durant une longue durée.

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À ce jour, le Totoaba est l’un des animaux les plus braconné, comme le pangolin, pour des raisons médicinales. La Chine a le 9 juin 2020 retiré officiellement l’écaille de pangolin de la Pharmacopée de la médecine traditionnelle chinoise et interdit sa consommation pharmaceutique dans le but tout d’abord d’éviter la transmission de zoonoses, le pangolin étant pointé du doigt au début de la pandémie comme étant à l’origine du Covid-19, mais également afin de le préserver de l’extinction.

Mais les contrebandiers vendent souvent une palette de produits et ne se limitent pas à une sorte de trafic afin de « répondre à la demande et maximiser le profit ».

Les espèces de faune et de flore sauvage en danger transportées sans licence peuvent maintenant valoir une peine d’emprisonnement de 10 ans ainsi qu’une amende de 10 millions HKD (soit un peu plus d’un million d’euros).

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La lutte contre le trafic faunique : une volonté internationale…

Le 21 septembre 2020, l’IMO, le gouvernement kenyan, United for Wildlife, TRAFFIC, UNDP et WWF ont organisé un webinaire afin d’apporter des solutions face au 4ème plus grand commerce illégal.

Le trafic est dévastateur sur plusieurs plans : la biodiversité, le développement économique, la sécurité et la santé humaine. Nous sommes entrés dans la sixième extinction de masse du vivant avec la destruction de 2/3 de la faune sauvage depuis les années 1970 : du jamais vu jusqu’à présent.

…représentée par une palette d’acteurs

Pour Chris Trelawny, spécialiste au sein des NU, il faut prendre conscience que le crime qui menace notre environnement et la diversité joue un rôle considérable sur la santé humaine et la sécurité dans le monde. En effet, ce type de criminalité peut constituer un risque de transmission des zoonoses, les maladies que se transmettent de l’humain à l’animal et inversement, comme cela a été le cas avec le Covid. Les conventions FAL sont des standards pour une approche simplifiée. Ainsi les mesures adoptées et mises en place relatives au transport maritime ne peuvent être efficaces que si elles sont appliquées par tous les acteurs : organismes, autorités, acteurs du secteur privé. Un acteur seul serait inefficace face à l’ampleur du transport maritime, une cohésion se révèle donc indispensable.

Steve Broad, directeur général de Traffic, explique que le trafic faunique est « souvent vu comme un marché peu risqué, mais très profitable et est souvent lié à des crimes organisés transnationaux. » Il y a quatre impacts principaux liés au trafic : la menace d’insécurité et d’instabilité nationales, la perte de touristes et sources de revenus, les risques pour l’environnement et la santé humaine et enfin, la corruption.

Il nuance un peu plus l’idée que cette problématique devrait uniquement se cantonner aux continents africains et asiatiques, « c’est un problème mondial. » Chaque continent possède un type d’espèces qui est victime de l’humain, pour différentes raisons ; à titre d’exemple, aux États-Unis ce sont les crocodiles et en Amérique Latine les perroquets qui sont les proies de ce marché destructeur.

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D’autre part, si les animaux sauvages sont souvent cités, il ne faut pas oublier la flore, car le bois de rose est également un business juteux. Il est important de remarquer selon lui qu’entre 2009/2013 et 2014/2018, le trafic s’est modifié : le bois de rose et l’ivoire d’éléphant ont diminué (-9 % et -2,5 %) tandis que la corne de rhinocéros a doublé et les écailles de pangolin triplées. Pour les fauves, reptiles et coraux, les chiffres sont en très légère baisse.

La corruption, omniprésente, est l’un des aspects qui permet ce trafic, car elle concerne un panel d’acteurs divers et variés dont l’importance peut s’avérer primordiale (tels que les policiers, autorités du pays d’origine ou du pays destinataire, etc.).

Si le trafic maritime est en première place avec 90 %, le mode de transport va varier selon les marchandises transportées. Steve Broad donne l’exemple des perroquets, donc le transport en valise est le plus « adapté ». Pour tout ce qui est non périssable (ivoire, écailles de pangolin, corne de rhinocéros, bois…) la mer est la meilleure option. Ces marchandises seront conservées et transportées dans des cargos, et du fait de la taille de ces derniers, un grand volume peut être transporté. « C’est aussi un bon moyen pour se fondre parmi les autres marchandises, de faire des déclarations non conformes, de les mélanger avec des marchandises similaires, de frauder (soit avec de faux documents soit en modifiant de réels permis). »

Mais en plus de l’acheminement par cargos, les marchandises peuvent également être transportées via des bateaux de croisière, dans des contenants en vrac (tel que les barils), bateau de pêche ou encore des bateaux non habilités au commerce.

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Pour Nancy Karigithu, secrétaire générale au département d’État du Ministère des Transports du gouvernement kenyan le braconnage est « une crise mondiale ». Ainsi les différentes mesures prises telles que la Déclaration de Buckingham Palace, l’amendement Jeddah issu du Code de conduite de Djibouti (qui condamne depuis 2008 les actes de piraterie et autres activités marines illégales) ainsi que les différentes mesures internationales de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages) ou les résolutions onusiennes permettent de fixer un cadre d’action efficace. La nécessité absolue d’une coopération entre secteurs et acteurs pour une réponse immédiate ne fait pas débat.

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Maersk représenté par Allan Jorgensen (directeur du commerce durable), est un acteur privé du transport maritime (le plus grand dans le secteur) qui s’est engagé contre le trafic faunique. Il explique notamment que la Déclaration de Buckingham Palace représente « leur bible » dans ce combat, garantissant que les acteurs, « dirigeants comme agents sur le terrain ont conscience de cette problématique et de comment la traiter. » Également, il argue que le secteur privé, bien qu’ayant un rôle important à tenir, est fortement limité, car il ne peut jouer celui des autorités. Ainsi comme ses prédécesseurs dans ce webinaire, il met en avant l’importance de cette coopération.

Les propositions kenyanes ont été fortement saluées par chaque intervenant, faisant ainsi état de l’importance du rôle de chacun dans une organisation mondiale contre le trafic de la faune sauvage qui pousse certaines espèces au bord de l’extinction. Si la coopération est le mot d’ordre, il ne faut pas oublier que la corruption et la pauvreté de certaines populations sont elles aussi une grande partie de cette problématique. La complexité apparait donc dans la diversité de ce commerce illégale. Toutefois si cette mobilisation maritime porte ses fruits, l’impact peut s’avérer remarquable tant pour la biodiversité que pour les humains.

Le respect du monde sauvage s’impose donc comme une urgence si notre espèce ne veut pas devenir le seul animal sur cette planète.

Pénélope Ehles

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Pour aller plus loin :

https://www.traffic.org/publications/

https://unitedforwildlife.org/united-for-wildlife-taskforces-online-meeting/

https://www.code-animal.com/le-commerce-des-animaux-sauvages-et-le-covid19/

https://www.code-animal.com/pendant-que-nous-nous-deconfinons-1-million-despeces-sont-menacees-dextinction-le-11-mai-cest-la-journee-mondiale-des-especes-menacees/

Sources :

https://undp-biodiversity.exposure.co/turning-the-tide

https://unitedforwildlife.org/projects/transport-taskforce/

https://unitedforwildlife.org/the-buckingham-palace-declaration/

https://www.africa.undp.org/content/rba/en/home/presscenter/pressreleases/2020/international-maritime-organization-to-develop-guidelines-for-th.html

https://www.scmp.com/news/hong-kong/law-and-crime/article/3111775/covid-19-pandemic-forces-endangered-species-smugglers

https://www.youtube.com/watch?v=wtQvchiIN7U