Le business autour de la civette

Kopi signifie café en indonésien et Luwak est le nom donné à la civette asiatique Paradoxurus hermaphroditus, un petit carnivore féliforme qui appartient à la famille des viverridés.

Le Kopi Luwak, principalement produit dans l’archipel indonésien, nécessite l’ingestion des fruits du caféier par la civette, le passage par le tube digestif de celle-ci ôtant l’amertume habituel du breuvage et lui donnant un goût tout particulier.

 L’origine du kopi luwak se situe au début du xviiie siècle, quand les Néerlandais créèrent dans leurs colonies de Java et Sumatra, des plantations de café, principalement avec des grains d’arabica du Yémen.

 La très grande partie de la production agricole était destinée à l’exportation et il était formellement interdit aux fermiers indigènes et à leurs employés de cueillir le café pour leur usage personnel.

Or ce qui est interdit étant toujours très tentant et les Indonésiens ayant découvert que la civette palmiste mangeaient les cerises de caféier dans les plantations et que les grains étaient retrouvés quasi intacts dans leurs excréments, ils se mirent à collecter l’ensemble, à nettoyer, sécher et enfin torréfier les grains de café récupérés.

Rapidement, les propriétaires des plantations se rendirent compte que ce café obtenu à partir des « grains de civette » avait un goût particulièrement subtil, sans amertume et en firent leur best off.

Photo credit : Sophie Wyseur

C’est grâce à leurs enzymes digestives, qui changent la structure des protéines présentes dans le grain de café, que l’acidité du café est atténuée et que l’on obtient un résultat particulièrement doux une fois le breuvage servi dans une tasse.

Il a été montré depuis que les sécrétions du tube digestif des civettes s’infiltrent dans les graines et que les enzymes protéolytiques qu’elles contiennent réduisent certaines protéines en peptides ou en acides aminés libres.

Le parfum du café dépendant majoritairement de ces protéines, on a donc supposé que ces modifications étaient à l’origine du parfum très particulier du kopi luwak.

On s’est aperçu également que dans la civette, les graines commençaient à germer et que ce maltage contribuait également à diminuer l’amertume du café.

Le Kopi Luwak est donc un café que l’on peut qualifier de « prédigéré »

Processus de fabrication initial du Kopi Luwak :

Les cerises de café sont celles recueillies sur le sol de la forêt (principalement dans les îles indonésiennes de Java, Sumatra et Célèbes), dans les fèces des civettes qui ne mangent que les cerises les plus mûres et juteuses.

Elles sont ensuite soigneusement nettoyées pour éliminer les impuretés et la saleté.

L’étape suivante implique l’élimination de la pulpe des grains qui sont ensuite fermentés pendant quelques heures.

Les grains sont alors lavés et nettoyés pour éliminer les impuretés restantes puis séchés au soleil pendant quelques jours jusqu’à ce qu’ils atteignent le niveau d’humidité souhaité.

Enfin, ils sont torréfiés pour faire ressortir leurs saveurs et leurs arômes uniques.

Photo credit : Sophie Wyseur

La notoriété du café civette a commencé avec un dénommé Tony Wild, directeur d’une entreprise de café anglaise, qui tombe inopinément sur un petit article dans le numéro de 1981 du National Geographic. Cet article mentionnait avec désinvolture un café inhabituel dont les grains provenaient des excréments de civettes malaises asiatiques.

Tony Wild décide alors de se procurer ce café exotique et devient la première personne à amener Kopi Luwak en Occident, juste un kilogramme…

 Rapidement, l’histoire de ce café amuse radios et journaux locaux et ce café à la fabrication originale devient un sujet de conversation dans tout le Yorkshire, et bientôt dans tout le pays.

Puis la nouvelle de ce café exotique se répand dans le monde entier, on en parle dans les émissions de télévision et notamment celle de Oprah Winfrey.

Mais c’est surtout en 2007que le Kopi Luwak devient connu du grand public car il fait partie de la liste de souhait du très populaire film « The Bucket List ».

La demande en Kopi Luwak a donc augmenté de façon exponentielle.

 Pour répondre à la demande des consommateurs et pour faire des bénéfices, les méthodes traditionnelles consistant à récupérer les excréments des civettes dans la forêt ont radicalement changé.

Photo credit : Sophie Wyseur

Les civettes sauvages ont commencé à être capturé à l’aide de trappes, de collets ou grace à des chiens de chasse pour être vendues directement aux ‘producteurs’ de café, ou mises en vente sur des marchés locaux avec d’autres animaux sauvages.

Elles sont ensuite détenues sur les exploitations, souvent confinées dans de petites cages grillagées et insalubres, soumises au stress et à différentes pathologies.

Dès 2013, Tony Wild exhortait à cesser cette industrie qu’il avait lui-même créée, désespéré de voir le tour qu’avait pris cette production et le manque de respect du bien-être animal.

D’autant que les animaux captifs ne sont plus nourris qu’avec des grains de café alors que le régime alimentaire de ces animaux est composé d’insectes, de petits vertébrés et invertébrés et de fruits.

Quant aux cerises de café, les civettes en liberté savent choisir les meilleures pour se nourrir, alors qu’en captivité, la qualité des fruits et leur maturité n’est pas toujours au rendez-vous. La qualité du café s’en ressentira forcément, sans parler des problèmes de santé lié à la malnutrition, la durée de vie d’une civette captive nourrie exclusivement aux cerises de café n’excède pas trois ans. Et pour les producteurs qui essaient d’exploiter au maximum le café de civette, acheter une nouvelle civette est plus facile et moins coûteux que de maintenir les individus captifs en bonne santé.

Photo credit : Sophie Wyseur

Un problème majeur avec le Kopi Luwak, c’est le manque de contrôle qualité du produit, la forte demande de café ayant conduit à la production de versions contrefaites, souvent faites en broyant des grains de café ordinaires et en ajoutant des produits chimiques pour imiter le goût du vrai café civette.

D’autres producteurs affirment ne travailler qu’avec des civettes sauvages alors qu’ils détiennent clandestinement des animaux captifs sur leurs plantations.

Des calculs de la quantité de café de civette disponible sur le marché révèlent clairement qu’elle est beaucoup plus élevée que la quantité de café que les civettes peuvent produire.

L’absence de concordance des chiffres laisse donc à penser qu’une grande partie de ce café ne provient pas véritablement de civettes.

La production de Kopi Luwak a également un impact sur l’environnement car les civettes sont capturées dans la nature en grand nombre, ce qui finit par perturber l’équilibre de l’écosystème et met en danger la survie des populations sauvages.

Pourtant, il existe des alternatives durables. Par exemple, les grains de café peuvent être traités naturellement en leur permettant de fermenter dans leur propre jus, imitant le processus qui se produit dans le système digestif de la civette. Cela produit un profil de saveur similaire sans avoir besoin d’exploitation animale.

D’autres producteurs expérimentent des méthodes alternatives de production de café civette qui n’impliquent pas de maintenir les civettes en captivité. Par exemple, certains producteurs installent des caméras pour surveiller les populations de civettes sauvages et collecter les grains de café de leurs excréments.

Photo credit : Sophie Wyseur

En fin de compte, l’avenir de la production de café civette dépend surtout de la demande des consommateurs. Une récente analyse de marché a évalué l’industrie du café kopi luwak à six milliards d’euros en 2021 et prévoit qu’elle atteindra neuf milliards d’euros d’ici à 2030, avec une croissance particulièrement forte en Indonésie et en Inde, entre autres.

Si les consommateurs continuent d’exiger du café civette, les producteurs seront incités à trouver des moyens de le produire de manière durable et éthique.

Pour être pérenne et éthique, il faudrait que l’industrie profite surtout aux communautés locales, ne nuise pas à l’environnement et ne soit pas contraire au bien-être animal.

Les civettes étaient également utilisées pour d’autres caractéristiques : En effet, elles produisent une substance odorante, la civettone,excrétée par des glandes situées à la base de leur queue, sous les glandes génitales.

C’est d’ailleurs cette particularité qui leur vaut le nom de “civette palmiste hermaphrodite” car ces glandes odoriférantes qui sont présentes chez les mâles et les femelles être confondues avec des testicules et les non-initiés peuvent avoir des difficultés à différencier les deux sexes.

Cette civettone est très employée en parfumerie. Son odeur diluée évoque des senteurs musquées et fleuries. Cet usage est identifié dès l’Égypte ancienne. La civettone employée aujourd’hui est principalement fabriquée synthétiquement. Elle est notamment utilisée dans le « Coco Chanel » de Chanel, parfum aux accents orientaux, mais aussi dans « Diorissimo » de Dior, dans « Jardins de Bagatelle » de Guerlain, parfums aux notes florales.

A l’heure actuelle, ces animaux sont toujours chassés en Chine et au Vietnam car leur viande y est particulièrement appréciée.

En Indonésie, ils sont plutôt utilisés comme des animaux de compagnie.

Des recherches et surveillances ont été conduites depuis une dizaine d’années pour mieux appréhender cet engouement envers la civette comme animal de compagnie.

Photo credit : Sophie Wyseur

Les animaux sont vendus sur les marchés locaux, ce sont principalement des jeunes, vraisemblablement capturés dans la nature car il ne semble pas y avoir d’élevage de civettes, en tous cas, pas officiel.

Et ces animaux sont souvent en mauvais état général.

Localement, rien n’interdit un particulier de posséder une civette, quelles que soient les conditions de vie qui lui sont offertes. Et souvent, les animaux captifs ne bénéficient pas des meilleures conditions de vie.

La civette palmiste est classée LC sur la liste rouge de l’IUCN (mais soumise à quota pour son commerce international).

Dans les zones agricoles, les civettes sont plutôt considérées comme des « nuisibles » et chassés sans restriction réglementaire.

Lors de nos recherches sur le sujet, nous nous sommes rendus au Lumbung Sari, près d’Ubud.

Un joli endroit ombragé, empli de sérénité avec un jardin planté de café Robusta et arabica pour bien montrer la différence de feuilles aux touristes.

Un peu plus loin, une civette sur un perchoir, qui déambule les yeux fixes sur le m2 d’espace qui lui est alloué. » il ne voit rien à la lumière me dit l’» hôtesse « car c’est une espèce nocturne. Il est cependant à la portée de chaque touriste qui s’empresse de le toucher, de faire des selfies, de lui tendre un morceau de banane pour pouvoir faire une photo.

Deux autres civettes dorment dans deux cages séparées, celles-ci sont enfermées car elles ne sont pas « friendly » et peuvent mordre.

Quelque part, leur sort est un peu plus enviable car elles ne sont pas sollicitées en permanence et leur surface de vie est un peu plus grande.

Ces civettes sont juste là pour les touristes m’explique l’hôtesse, elles ne produisent pas de café.

Les productrices sont dans la jungle, en liberté, sauvages…

Quand mes questions se font plus précises, les réponses se font de plus en plus évasives, le discours est rodé, répété. Quand je lui demande où sont les plantations et si on peut les visiter, elle rit et me dit qu’elles sont très loin et que non on ne peut pas s’y rendre.

En fait, la grande majorité des gens ne s’interroge pas sur la vie des individus utilisés dans cette industrie.

Nous décidons de goûter ce fameux café, trois euros la tasse, c’est cher pour ici.

Ce qui revient le plus souvent paraît-il quand on questionne les gens sur leur ressenti au sujet du goût du café civette, c’est un arrière-gout lisse et persistant, avec une saveur légèrement sucrée et chocolatée.

Personnellement, je n’ai rien retrouvé de tel, juste un breuvage un peu fade et qui ne justifie en rien tout cet engouement.

Mais peut-être ne suis-je pas objective ou influencée par la façon dont est produit ce café.

Photo credit : Sophie Wyseur

Il me semble qu’il s’agit plutôt d’une mode ou de quelque chose qu’il convient d’essayer quand on est en Indonésie, à raconter à son retour de vacances.

Tous les tours opérators proposent d’ailleurs cette expérience.

Dans de nombreux cafés dédiés au Kopi Luwak, nous avons pu voir des civettes endormies sur une étagère ou un comptoir de bar, elles attirent le client.

En Indonésie, il n’est pas du tout illégal de posséder un tel animal et de le maintenir dans des conditions pas forcément en adéquation avec leurs besoins physiologiques.

A nous tous d’être vigilants et de s’interroger sur le pourquoi et le comment des choses, notamment quand cela implique le bien-être d’êtres sensibles.

Garder à l’esprit cependant dans nos réflexions, démarches et recherches de solutions que la population de certains pays a des revenus très faibles et que certaines pratiques choquantes pour nous occidentaux peut être l’unique moyen de nourrir toute une famille ailleurs.

En refusant individuellement certaines pratiques, en interrogeant et en s’interrogeant sur ce que l’on voit, en montrant que le bien-être animal est un sujet qui nous préoccupe, nous pouvons influencer progressivement le changement des méthodes pour qu’humains et non – humains en soient bénéficiaires.

Chacun peut signaler ces expériences, écrire aux tours operators, aux guides touristiques et même directement aux gouvernements pour dire qu’on ne soutient pas telle ou telle pratique du pays visité.

 Chaque petite goutte d’eau compte pour faire changer les choses!

Sophie Wyseur

Photo credit : Sophie Wyseur

 

Sources :

https://www.geo.fr/animaux/kopi-luwak-savez-vous-comment-est-fabrique-le-cafe-le-plus-cher-du-monde-212609

https://www.nationalgeographic.fr/animaux/enquete-bien-etre-animal-voici-ce-qui-se-cache-derriere-industrie-du-cafe-de-luxe-naturellement-raffine

https://www.slate.fr/story/121431/cafe-civette-asiatique-maltraitance-animale-luwak

https://indonesiaexpat.id/news/peta-reveals-cruelty-behind-balis-luwak-coffee-industry/

Morphometric variations of Asian Common Palm Civet (Paradoxurus hermaphroditus, Pallas 1777) from Bali Island, Indonesia as the basis of morphometrics diversity data

ARIS WINAYA, MAFTUCHAH CARLA MOROS NICOLÁS, DWI PRASETYO

https://www.researchgate.net/publication/273653154_Trade_in_common_palm_civet_Paradoxurus_hermaphroditus_in_Javan_and_Balinese_markets_Indonesia

https://www.researchgate.net/publication/273653154_Trade_in_common_palm_civet_Paradoxurus_hermaphroditus_in_Javan_and_Balinese_markets_Indonesia

https://fr.worldanimalprotection.ca/notre-travail-2/les-animaux-dans-la-nature/campagne-cafe-de-civette-pour-du-cafe-de-civette-en