La conservation d’espèces « parapluie » ne protège pas toutes les espèces : l’exemple du panda géant.

Le panda géant, Ailuropoda melanoleuca, est endémique aux forêts de bambou des montagnes Chinoises. On ne le trouve à l’état sauvage nulle part ailleurs.  Entre cadeaux d’Etat et prêts commerciaux, l’ursidé Chinois a fait le tour du monde. Au fil des années, il est ainsi devenu le symbole de l’amitié entre la Chine et les 18 pays d’accueil qu’elle a choisis. Avec ses lunettes et ses oreilles noires, le panda géant est également un des emblèmes de la protection de la biodiversité à l’échelle mondiale. Depuis plus de 40 ans, il est considéré comme une espèce « parapluie » : une espèce en danger d’extinction dont la protection bénéficie aussi aux autres espèces de son écosystème. De récentes études viennent remettre en cause cette affirmation.

La « pandamania »

Dès le début du XXème siècle, des pandas géants sont capturés et enlevés de leur milieu naturel par des chasseurs de trophées Européens et Américains. Entre 1936 et 1938, le premier panda géant en captivité est exposé dans les zoos de San Francisco, puis de New York et enfin de Chicago. A la même époque, une quinzaine de pandas sont mis en scène dans des cirques ambulants Européens. C’est ainsi que le zoo de Vincennes accueille Happy, le premier panda sur le sol Français, en 1939.

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Très vite, la Chine se rend compte de l’engouement de l’Occident pour son ours national noir et blanc. Il n’est donc pas étonnant de la voir utiliser le panda à des fins commerciales et politiques. Dans les années 1960, la « pandamania » voit le jour. Le panda géant devient un symbole diplomatique entre la Chine et le reste du monde. 24 individus prélevés dans la nature sont offerts à une dizaine de pays d’Amérique du Nord et d’Europe en 30 ans.

A partir des années 1980, les pandas ne sont plus des cadeaux mais des prêts commerciaux. De nombreux zoos internationaux, soigneusement sélectionnés par la Chine, reçoivent ainsi une paire de pandas captifs pendant quelques mois. Une présence qui booste considérablement leurs revenus. Le public se presse pour aller voir cet animal exotique aux allures de peluche. Le directeur du zoo de San Francisco décrira les pandas comme « les animaux les plus désirés du monde ».

Il n’aura pas fallu longtemps aux associations de défense animale pour dénoncer le véritable business grandissant autour du panda. La présence d’individus dans des zoos ne sert à cette époque aucun objectif de conservation de l’espèce. Bien au contraire, les animaux sont capturés dans leur milieu naturel. Sans compter les conditions de transport et de transfert dans un nouvel environnement en captivité qui sont synonymes de stress pour l’animal. Le bien-être des individus passe bien après les répercussions économiques positives qu’ils engendrent.

A la fin des années 1980, il ne reste qu’un peu plus de 1000 individus à l’état naturel. L’UICN place le panda géant comme espèce « en danger d’extinction » sur sa liste rouge. En 1988, le manque de politique de protection de la Chine envers le panda géant est mis en lumière.

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Le panda géant, un trésor national chinois

Fort heureusement, la Chine réalise rapidement l’importance de protéger son animal emblématique. Elle met tout d’abord en place un moratoire sur les « prêts de courte durée ». Les locations de pandas deviennent plus longues (en moyenne 10 ans) et les zoos d’accueil doivent s’engager à tourner leurs ressources vers la recherche, des programmes d’élevage et de conservation du plantigrade.

En 2017, un bébé panda nait et survit au zoo de Beauval faisant de la France le quatrième pays Européen à faire se reproduire avec succès des pandas en captivité, une tâche qui s’avère être très difficile.

La location de pandas dans des zoos hors de Chine nécessite des années de négociations et présente des coûts très élevés que peu de parcs zoologiques peuvent se permettre. Pour les pandas du zoo de Beauval par exemple :

  • L’acquisition d’une paire de panda = 1.5 millions €
  • La location annuelle = 750 000 € /animal
  • Les installations
  • La nourriture
  • Les salaires des soigneurs, vétérinaires, etc.

Le coût global annuel s’élève à 3.5 millions d’euros.

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L’exposition de pandas en captivité, est certes extrêmement coûteuse, mais elle permet également des retombées économiques positives. La fréquentation du zoo de Beauval a plus que doublée depuis l’arrivée des ursidés en 2012. En 2017, le chiffre d’affaires du zoo le plus cher de France s’élevait à 57 millions d’euros. Il est regrettable de constater que seulement 1.57 % de ce chiffre, c’est-à-dire 900 000 €, est dédié aux programmes de conservation de la biodiversité. Une problématique des parcs zoologiques dénoncée par les défenseurs de la cause animale.

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Le panda géant évite l’extinction de justesse

En 1992, le Conseil d’Etat Chinois approuve le « Plan de gestion national pour la conservation du panda géant et de son habitat » rédigé par le WWF (World Wildlife Fund, dont le logo est sans surprise un panda) et le ministère des forêts chinois. Cette année-là, un budget de 5 millions de dollars américains est alloué pour la mise en place des efforts de conservation. Ils consistent à :

  • Etablir des réserves protégées et contrôler le braconnage
  • Réglementer la détention et le commerce du panda géant
  • Etablir des programmes d’élevage et de réintroduction

67 zones protégées sont ainsi créées (représentant 70% de l’aire de répartition initiale de l’espèce) et trois institutions Chinoises sont destinées à la recherche et à l’élevage du panda en captivité. En 2015, 400 individus étaient recensés en captivité en Chine et une soixantaine dans 23 zoos à l’étranger.

Les pandas présents dans les zoos internationaux sont toujours la propriété de la Chine. Plus de la moitié de la somme générée grâce aux pandas par ces zoos d’accueil est versée à la Chine. Il est estimé que la location de pandas à l’échelle mondiale rapporte 70 millions d’euros chaque année au gouvernement Chinois. Il est à espérer qu’une grande partie de ce montant est tournée vers les efforts de conservation de l’espèce en Chine.

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Grâce à l’expansion et à la protection de son habitat, le nombre d’individus sauvages est passé de 1200 à 1864 en 30 ans (dernier census en 2016), soit une faible augmentation de 17% qui lui a tout de même valu un changement de statut de « en danger d’extinction » a « menacé » par l’UICN.

Senior vice-présidente pour la conservation de la faune au WWF, Ginette Hemley conclut « qu’il fait bon d’être un panda aujourd’hui ».

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Une fausse bonne nouvelle pour le panda ?

En 2016, Marc Brody, consultant senior pour la conservation et le développement durable à la réserve naturelle de Wolong en Chine, tempérait déjà la bonne nouvelle : « il est trop tôt pour conclure que le nombre de pandas augmente dans la nature, peut-être sommes-nous plus efficaces à les compter ? […] Il n’y a pas de raison qui justifie de changer le statut du panda de « en danger » a « menacé ». L’habitat qui est nécessaire au panda est en fait en déclin dû à la fragmentation provoquée par la construction des routes, le développement du tourisme dans la province du Sichuan et d’autres activités économiques humaines ».

Il est indéniable que les larges efforts de conservation ont été efficaces et sont porteurs d’espoir pour le devenir de l’espèce mais l’ours chinois est encore loin d’être tiré d’affaire.

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Le panda géant, une véritable espèce « parapluie » ?

Selon une récente étude par Sheng Li et al., les efforts de conservation du panda géant n’ont pas eu les mêmes effets positifs sur tous les larges mammifères, en particulier les léopards, léopards des neiges, loups et dholes (chiens sauvages Asiatiques) qui partagent son territoire.

En comparant les données d’inventaires réalisés entre 1950 et 1970 et les images de pièges-camera entre 2008 et 2018, ils ont mis en avant le déclin des populations de ces grands prédateurs. Leurs résultats indiquent que les léopards ont disparu de 81% des réserves, les léopards des neiges de 38%, les loups de 77% et les dholes de 95%. Selon les auteurs de l’étude, les loups et les dholes seraient même éteints fonctionnellement dans certaines parties des réserves, et donc ne rempliraient plus leurs rôles écologiques. Ceci pourrait avoir un effet cascade négatif sur d’autres espèces au sein de l’écosystème dans lequel ils évoluent.

Les causes du déclin de ces grands prédateurs seraient multiples et incluraient leur braconnage et celui de leurs proies, ainsi que l’apparition de maladies infectieuses. Les auteurs reconnaissent également que les réserves de pandas, qui s’étendent entre 300 et 400km2, ne seraient pas suffisamment étendues pour supporter des populations viables des prédateurs cités dans l’étude, qui se déplacent et vivent sur plus de 100km2.

Ces résultats font écho aux résultats d’une autre étude par Wang et al. soulignant que les populations d’ours noir d’Asie et de cerfs porte-musc étaient en recul dans les zones protégées des pandas suite à la perte de leur habitat en faveur de celui du panda. « Nous savons maintenant que lorsque nous protégeons les pandas, nous perdons des ours noirs d’Asie, des cerfs porte-musc et certainement bien d’autres espèces » précise le Dr Wang.

Tous les efforts de conservation du panda ne sont cependant pas à jeter puisque qu’ils ont par ailleurs profité à certaines espèces de petits carnivores, des herbivores, des faisans et des oiseaux chanteurs. Les antilopes du Tibet par exemple, qui ont beaucoup été chassées pour leur fourrure par le passé, ont vu leur nombre augmenter.

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Les leçons à tirer de la stratégie de conservation du panda géant

Bien que très encourageants, les efforts de préservation du panda remettent en question l’utilisation d’espèces « parapluie » pour la conservation et mettent en avant les limitations de cette approche.

Plus médiatisées, les espèces « parapluie » permettent la collecte de fonds non négligeables pour la conservation. Mais le Dr Wang rappelle que « […] un parapluie aura inévitablement quelques trous. Nous devons arrêter de nous focaliser sur une seule espèce animale et nous concentrer sur l’ensemble de la communauté animale ».  Chaque espèce a des besoins écologiques différents et ce serait un tort d’oublier certains animaux plus discrets et moins séduisants au détriment d’autres plus charismatiques. 

Les auteurs des études préconisent une nouvelle approche de préservation qui s’attarderait sur plusieurs espèces plutôt qu’une. Bonne nouvelle pour la biodiversité puisque, depuis la publication de ces recherches, le gouvernement chinois a déjà revisité ses stratégies de conservation pour inclure dorénavant une surveillance multi-espèces et ne pas répéter les erreurs passées.

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La restauration et la connexion des habitats permettraient aux populations isolées d’entrer en contact et de se reproduire. La lutte contre le braconnage et la chasse des proies seraient également bénéfiques aux prédateurs. Le Dr Sheng Li souligne que l’augmentation du nombre de prédateurs auraient un impact positif sur les écosystèmes, pas seulement pour le panda mais pour de nombreuses autres espèces.  

Finalement, comme le souligne très justement He Xin, responsable du programme Chinois du panda géant au WWF, « les pandas géants ne peuvent pas avoir la charge de toutes les espèces ».

Camille Luccisano

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Sources

Nature

Canr.msu

Science post

NY Times

National Geographic

Bangkok Post

RFI

Panda.fr