Conférence Océan 2025 : quels progrès pour les animaux marins ?

Du 9 au 13 juin 2025, la ville de Nice a accueilli la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3). Chefs d’États, scientifiques, ONG, institutions internationales : plus de 120 pays étaient représentés pour adopter le Nice Ocean Action Plan, une déclaration politique et plus de 800 engagements volontaires visant à mieux protéger nos mers et océans. Code animal était représenté par son partenaire World Federation for Animals.

Mais qu’en est-il des animaux marins ? Peuvent-ils espérer une réelle amélioration de leur sort après cette conférence ? Si certains progrès sont à noter, de nombreuses menaces majeures pour la faune marine sont restées ignorées ou minimisées. Décryptage.

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Ce qui a été inclus dans la déclaration :

Des progrès sur la question des filets fantômes

La déclaration invite les organisations internationales, comme la FAO, à agir contre les engins de pêche perdus ou abandonnés – souvent appelés « filets fantômes ». Ces déchets de plastique marin continuent à piéger, mutiler et tuer des milliers d’animaux, bien après leur perte en mer.

Selon l’ONU Environnement, ces engins fantômes représentent environ 10 % de tous les déchets plastiques marins, mais jusqu’à 70 % de tous les macroplastiques flottant à la surface (UNEP, 2020).

Réaffirmation des objectifs de protection 30×30

La déclaration réaffirme l’objectif de protéger 30 % des zones marines et côtières d’ici 2030 (objectif 30×30), déjà adopté dans le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (COP15, 2022).

Aujourd’hui, seuls 8,3 % des océans sont protégés de manière nominale, et à peine 2,8 % bénéficient d’une protection réelle et efficace (Marine Protection Atlas, 2024). Pour de nombreuses espèces, cela signifie rester exposées à la surpêche, à la pollution et à la dégradation des habitats.

Appel à ratifier le traité sur la haute mer

La déclaration mentionne le traité BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), adopté en 2023 pour mieux protéger la biodiversité dans les zones marines situées au-delà des juridictions nationales, soit près de 64 % de l’océan mondial.

À la clôture de la conférence, 50 pays avaient ratifié le traité. Il en faut 60 pour qu’il entre en vigueur, probablement dès janvier 2026. Ce traité pourrait enfin offrir une protection légale aux espèces marines vivant dans ces zones encore très peu réglementées.


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Qu’est-ce que la haute mer ?

La haute mer désigne l’ensemble des zones océaniques situées au-delà des juridictions nationales, c’est-à-dire au-delà de 200 milles nautiques (environ 370 km) des côtes. Elle représente près de la moitié de la surface de la Terre et environ 95 % du volume des océans. Pourtant, cette immensité bleue échappe encore largement à la régulation efficace.

Aucune nation ne peut revendiquer de souveraineté sur ces espaces. Ils sont considérés comme des biens communs mondiaux, régis par le droit international. La haute mer abrite une biodiversité fascinante et souvent méconnue : des espèces rares, des zones de reproduction, de migration et de nourrissage cruciales pour des espèces emblématiques comme les baleines, les tortues marines, les thons ou les requins.

Mais ces écosystèmes sont aussi extrêmement vulnérables. Les monts sous-marins, les coraux profonds, ou encore les suintements de méthane accueillent des formes de vie uniques, souvent très sensibles aux perturbations humaines.

Le Traité BBNJ : un nouveau cadre pour la haute mer

Face à ces enjeux, un accord historique a été adopté en mars 2023 à l’ONU : le Traité BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), destiné à protéger la biodiversité au-delà des frontières nationales.

Ce traité vise à :

  • Créer des aires marines protégées en haute mer, pour atteindre l’objectif de 30 % d’océans protégés d’ici 2030 (« 30×30 »).

  • Soumettre les activités économiques à des études d’impact environnemental contraignantes.

  • Partager équitablement les ressources génétiques marines, comme les enzymes prélevées sur des organismes abyssaux à des fins pharmaceutiques.

  • Assurer une gouvernance plus équitable, en associant les pays du Sud aux décisions.

Toutefois, le traité n’entrera en vigueur qu’après 60 ratifications. À la fin de la Conférence Océan 2025 à Nice, 50 pays avaient signé, et 17 de plus étaient sur le point de le faire.


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Les menaces majeures qui pèsent sur la haute mer

La haute mer, vaste étendue longtemps perçue comme inaccessible et inaltérable, fait aujourd’hui face à une pression humaine croissante. Alors qu’elle représente un espace crucial pour la biodiversité et le climat mondial, elle reste paradoxalement l’un des écosystèmes les moins protégés et les plus vulnérables de la planète.

Surpêche et pêche illégale : une pression incontrôlée

La haute mer est le théâtre d’une exploitation halieutique massive, souvent hors de tout cadre transparent. Des flottes industrielles, parfois battant pavillon de complaisance, pêchent en continu à des milliers de kilomètres des côtes. Dans cette zone en grande partie hors de contrôle, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) prospère. Des méthodes particulièrement destructrices y sont encore utilisées, comme le chalutage en eaux profondes, qui racle les fonds marins et détruit des habitats essentiels. Les organismes régionaux de gestion des pêches manquent souvent de moyens ou de volonté politique pour imposer des règles strictes.

Exploitation minière des fonds marins : un risque encore méconnu

L’intérêt grandissant pour les ressources minérales des grands fonds marins – nodules polymétalliques, sulfures hydrothermaux ou encroûtements cobaltifères – suscite l’inquiétude. Des projets d’extraction se développent dans plusieurs zones internationales, avec le soutien de certains États et entreprises. Pourtant, les impacts écologiques d’une telle activité restent en grande partie inconnus, et les dommages potentiels sur la biodiversité pourraient être durables voire irréversibles, notamment pour les espèces endémiques qui évoluent dans ces habitats extrêmes depuis des millénaires.

Pollution plastique et chimique : une contamination globale

La haute mer n’échappe pas à la pollution plastique généralisée. Les courants marins y transportent des tonnes de déchets, visibles à la surface ou sous forme de microplastiques ingérés par la faune marine. Des fragments de plastique ont été retrouvés dans les organismes planctoniques, les poissons abyssaux, voire dans les excréments de baleines. À cela s’ajoutent les polluants chimiques persistants (PCB, mercure, hydrocarbures) qui contaminent la chaîne alimentaire et se retrouvent jusque dans les organismes les plus isolés.

Changements climatiques : l’océan sous pression

Le réchauffement climatique affecte directement la haute mer. L’élévation de la température des eaux perturbe les courants, les aires de répartition des espèces et les cycles de reproduction. Par ailleurs, l’acidification des océans, causée par l’absorption massive de CO₂, nuit gravement aux organismes calcifiants comme les coraux profonds ou certains planctons. Enfin, la désoxygénation progressive des eaux profondes – la perte d’oxygène disponible – menace la survie de nombreuses espèces. Ces phénomènes combinés affaiblissent la résilience des écosystèmes marins face aux autres pressions humaines.

Bruit anthropique : une pollution invisible mais dévastatrice

Le bruit généré par les activités humaines en haute mer est une forme de pollution encore trop sous-estimée. Les sonars militaires, les forages pétroliers, la prospection sismique ou même le trafic maritime intense créent un vacarme constant dans les profondeurs. Ce bruit perturbe gravement les espèces marines sensibles au son, notamment les cétacés qui dépendent de l’écholocation pour se déplacer, chasser ou communiquer. Des études ont mis en évidence des cas de désorientation, d’échouages massifs ou de ruptures de cohésion sociale chez les dauphins et les baleines à cause du stress acoustique.

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Pourquoi la France parle-t-elle de victoire ?

Pour Emmanuel Macron et le gouvernement français, la Déclaration est présentée comme une “victoire diplomatique” car :

  • Elle confirme le rôle moteur de la France dans la gouvernance internationale de l’océan (après Brest 2022 et Lisbonne 2022).

  • Elle porte des priorités françaises, comme le moratoire sur l’exploitation minière en haute mer ou la protection des aires marines.

  • Elle contribue à accélérer la ratification du traité BBNJ, l’un des grands objectifs diplomatiques portés par la France.

  • Elle montre une mobilisation sans précédent de la communauté internationale : plus de 120 pays ont adopté la déclaration et une cinquantaine ont déjà ratifié le traité BBNJ.

Cependant, il convient de rester vigilant : une déclaration n’est pas contraignante. Tout dépendra de la volonté réelle des États à mettre en œuvre les engagements pris, notamment sur le terrain et dans les instances multilatérales (ONU, OMI, FAO…).

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Ce qui manque cruellement dans la déclaration

Aucune condamnation claire des pratiques de pêche destructrices : 

Malgré les appels à des pêches durables et la lutte contre la surpêche et la pêche illégale dans la déclaration, certaines pratiques aux impacts écologiques et éthiques désastreux sont délibérément évitées. Parmi elles, le chalutage de fond, qui ravage les écosystèmes benthiques essentiels à la biodiversité marine, est un exemple frappant. De même, les prises accessoires tuent chaque année des milliers d’espèces non ciblées — dauphins, tortues, requins ou encore oiseaux marins — entraînant une souffrance massive et des déséquilibres écologiques majeurs. Selon la FAO (2022), plus de 300 000 cétacés meurent chaque année piégés dans les filets de pêche. Quelques États ont pris des mesures ambitieuses, comme le Ghana qui a interdit le chalutage de fond et la pêche industrielle dans ses eaux, ou le Royaume-Uni qui projette d’interdire ce mode de pêche dans 41 zones marines protégées. Pourtant, la déclaration finale reste étrangement silencieuse sur ces mesures globales indispensables.

Le bien-être des animaux marins : le grand absent : 

La déclaration omet totalement la question du bien-être des animaux marins, laissant de côté toute reconnaissance de leur sensibilité. Rien n’est dit sur la nécessité de développer des techniques de capture ou d’abattage plus respectueuses, ni sur la réduction des souffrances engendrées par la pêche ou l’aquaculture marine. La question de la consommation raisonnée d’espèces marines, qui pourrait aider à préserver ces populations et leur qualité de vie, est également ignorée. Pourtant, les preuves scientifiques sont claires : de nombreuses espèces marines — poissons, pieuvres, crustacés — ressentent douleur, stress et même angoisse (Birch et al., LSE Report, 2021 ; Sneddon, 2022). Cette omission représente une occasion manquée de concilier préservation des océans et éthique animale.

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Le rôle des animaux marins dans le climat : ignoré

Le rôle crucial de certaines espèces marines dans la séquestration du carbone et la régulation du climat est désormais bien établi. Les baleines, par exemple, stockent d’importantes quantités de CO₂ tout au long de leur vie. Les poissons participent activement à la pompe biologique du carbone, tandis que les requins maintiennent l’équilibre des chaînes trophiques indispensables à la santé des écosystèmes. Pourtant, la déclaration ne fait aucune mention de cette dimension essentielle dans les stratégies climatiques. Un rapport du PNUE (2023) rappelle que protéger les animaux marins constitue une action clé pour le climat. En négligeant ce levier naturel de résilience, la déclaration affaiblit les réponses globales à la crise climatique.

Aucune position de précaution sur l’exploitation minière des grands fonds

Alors que l’exploitation minière des grands fonds marins, pour extraire des minerais stratégiques comme le cobalt, le manganèse ou le nickel, se profile comme une nouvelle menace, la déclaration ne propose aucune approche de précaution ni moratoire. Cette absence de cadre protecteur est d’autant plus inquiétante que les chercheurs alertent sur les risques d’extinctions massives et les perturbations irréversibles d’écosystèmes encore largement méconnus (MIDAS, 2022 ; Deep Sea Conservation Coalition). La pression pour ouvrir ces zones à l’extraction est forte, mais 37 pays, dont 23 lors d’une déclaration conjointe pendant la conférence, ont exprimé leur soutien à un moratoire ou une pause dans ces activités.

Bruit sous-marin : un traitement partiel :

La pollution acoustique en mer, principalement générée par les navires, est reconnue comme un facteur perturbant majeur et mentionnée dans la déclaration. Cependant, d’autres sources critiques de bruit, telles que les sonars militaires ou les explorations pétrolières utilisant des airguns, sont totalement absentes des discussions. Ces bruits intenses et répétitifs peuvent provoquer stress, perte d’audition, désorientation et même la mort chez les cétacés (Aguilar Soto et al., 2006 ; NOAA, 2021). Face à ce constat, 37 pays ont rejoint la Coalition pour un Océan Silencieux, appelant à une réglementation renforcée du bruit sous-marin, mais la déclaration ne reflète pas encore cette mobilisation essentielle.

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Et maintenant ?

Malgré des engagements positifs, la déclaration politique de Nice ne va pas assez loin. Elle reflète encore une vision de l’océan centrée sur l’exploitation durable des ressources, sans intégrer pleinement la protection et le bien-être des animaux marins.

Or, les animaux marins sont plus que des indicateurs écologiques : ils jouent un rôle actif dans la santé des océans, et sont capables de souffrir, comme les animaux terrestres.

Ce que Code Animal et son partenaire demandent :

Face à l’urgence écologique et éthique, nous appelons les gouvernements à aller plus loin :

  • 🐠 Interdire les pratiques de pêche destructrices (chalutage de fond, filets dérivants) ;

  • 🧠 Intégrer le bien-être animal dans toutes les politiques marines ;

  • 🛑 Soutenir un moratoire mondial sur l’exploitation minière en mer profonde ;

  • 🔊 Réglementer toutes les sources de pollution sonore sous-marine ;

  • 📉 Réduire l’exploitation des animaux marins par des politiques de consommation durable.

La prochaine revue de l’ODD 14 sur les océans, en juillet 2025 à New York, sera l’occasion de remettre les animaux marins au centre des politiques internationales. L’océan a besoin d’actions fortes. Les animaux marins aussi.

Photo credit : Code animal / Sophie Wyseur

Sources principales

  • FAO. (2022). The State of World Fisheries and Aquaculture 2022. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

  • MPAtlas. (2024). Marine Protection Atlas. https://www.mpatlas.org

  • Deep Sea Conservation Coalition. (2023). Protecting the deep sea. https://www.savethehighseas.org

  • Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). (2020). Ghost gear and marine litter.

  • Birch, J., Burn, C., Schnell, A., Browning, H., & Crump, A. (2021). Review of the evidence of sentience in cephalopod molluscs and decapod crustaceans. London School of Economics and Political Science. https://www.lse.ac.uk/News/News-Assets/PDFs/2021/Sentience-in-cephalopods-and-decapods-Final-Report-November-2021.pdf

  • Aguilar Soto, N., Johnson, M. P., Madsen, P. T., Díaz, F., Domínguez, I., Brito, A., & Tyack, P. (2006). Effects of sonar on beaked whales (Ziphiidae): Controlled exposure experiments. Nature, 441(7094), 209. https://doi.org/10.1038/441209a

  • Nations Unies. (2023). Accord BBNJ sur la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale. https://www.un.org/bbnj

  • Division des affaires maritimes des Nations Unies. (n.d.). Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). https://www.un.org/Depts/los/
  • Nations Unies. (2025). Déclaration politique – 3e Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC3). https://unoc2025.org