Quand le cinéma menace la biodiversité : l’impact méconnu des films d’animation sur le trafic d’animaux

Photo credit : Wikipédia

Zootopia 2 : la vague bleue qui inquiète

Selon les derniers articles publiés dans les médias, le succès phénoménal de Zootopia 2 en Chine a révélé un phénomène préoccupant : l’explosion de la demande pour les serpents venimeux. Depuis la sortie du film, fin novembre 2025, les recherches en ligne pour la vipère à fossettes (Trimeresurus insularis), surnommée « serpent de bambou insulaire » en Chine, ont grimpé en flèche. Les prix de ces reptiles auraient bondi de quelques centaines à plusieurs milliers de yuans sur les plateformes d’e-commerce chinoises.

Le personnage de Gary De’Snake a conquis le public chinois au point que certaines personnes veulent posséder leur propre serpent bleu à la maison. Cette tendance inquiète les autorités, d’autant que l’expédition d’animaux vivants par voie postale est interdite en Chine. Plusieurs médias d’État ont commencé à publier des avertissements : ces serpents venimeux ne sont pas des peluches et représentent un danger réel.

Avec plus de 500 millions de dollars récoltés en Chine et plus d’un milliard de dollars au box-office mondial en seulement 17 jours, Zootopia 2 est devenu le film d’animation hollywoodien le plus rentable de tous les temps. Mais son influence dépasse largement les salles de cinéma.

Code animal a souhaité se pencher sur la question complexe de l’influence des films sur le marché des animaux sauvages. 

Photo credit : Unsplash

L’« effet Nemo » : un débat scientifique toujours ouvert

Le phénomène n’est pas nouveau.

En 2003, la sortie du film d’animation « Le Monde de Nemo » (Finding Nemo) a déclenché une vague de spéculations sur son impact environnemental. Les médias du monde entier ont alerté sur une explosion de la demande pour les poissons-clowns, baptisant ce phénomène l’« effet Nemo ». De nombreux commerçants d’animaux ont assuré que la demande était grande pour les poissons du film. Certaines estimations parlaient d’une augmentation de 20% des ventes aux États-Unis de poissons vivants pourtant en eau salée. 

Cependant, la réalité scientifique derrière ces faits reste vivement débattue. En 2017, une étude publiée dans la revue Fish and Fisheries par Thane Militz et Simon Foale a examiné les données d’importation et d’exportation de poissons-clowns. Leurs conclusions sont surprenantes : les données commerciales disponibles montrent peu de preuves d’achats massifs de poissons dans l’année et demie qui a suivie la sortie du film. Les chercheurs soulignent que la perception médiatique de l’impact peut être plus dommageable que l’impact réel, en diffusant une approche émotionnelle mais scientifiquement peu informée de la conservation des récifs coralliens. 

En 2019, une recherche de l’Université d’Oxford publiée dans Ambio a apporté des éléments complémentaires. Diogo Veríssimo et son équipe ont analysé les tendances de recherches Google, les données d’achat auprès d’un grand importateur américain et la fréquentation de 20 aquariums publics américains. Leurs résultats montrent une augmentation des recherches en ligne sur les animaux 2 à 3 semaines après la sortie de « Le Monde de Dory » (Finding Dory) en 2016, mais aucune hausse substantielle des importations de ces poissons aux États-Unis, ni de la fréquentation des aquariums. 

Cette controverse scientifique illustre la complexité de mesurer l’impact réel des médias sur le comportement des consommateurs. Les données limitées sur les importations historiques et la difficulté d’établir un contrefactuel fiable rendent les conclusions difficiles à généraliser.

Photo credit : Unsplash 

2025 : un contexte radicalement différent de 2003

Toutefois, il serait dangereux de conclure hâtivement que les films d’animation n’ont aucun impact sur le commerce d’animaux exotiques. Le cas de Zootopia 2 en 2025 révèle une réalité préoccupante : le contexte technologique et social a radicalement changé en vingt ans, rendant l’achat impulsif d’animaux exotiques beaucoup plus facile et rapide qu’à l’époque de Nemo.

L’e-commerce instantané

En 2003, acquérir un poisson-clown nécessitait de se rendre physiquement dans une animalerie spécialisée, ce qui laissait un délai de réflexion naturel. En 2025, il est totalement possible d’acheter un serpent en trois clics sur des applications ou autres sites internet et se le faire livrer à domicile en quelques jours, malgré l’interdiction légale d’expédier des animaux vivants par voie postale en place dans certains pays, dont la France.

L’effet réseaux sociaux

Contrairement à 2003, l’achat d’un animal exotique en 2025 n’est plus seulement motivé par  »la passion » de l’animal, mais par la volonté de se mettre en scène avec  »L’animal tendance du moment ». Les selfies et vidéos avec des animaux inhabituels ou rares génèrent des millions de vues et des milliers de likes.

Cette recherche de validation sociale accélère considérablement l’acte d’achat impulsif. L’animal devient un accessoire de contenu numérique avant d’être un être vivant doué de sensibilité dont on assume la responsabilité tout au long de sa vie.

Cette transformation du contexte d’achat explique peut-être pourquoi l’effet Zootopia 2 semble beaucoup plus tangible que l’effet Nemo ne l’était réellement. Les barrières pratiques, économiques et temporelles qui limitaient les achats impulsifs en 2003 ont largement disparu en 2025, créant un environnement propice aux décisions irréfléchies, au prix de la vie d’un individu et d’un poids considérable sur la biodiversité. 

Photo credit : Unsplash

Rio et le déclin tragique de l’ara de Spix

Si l’« effet Nemo » demeure controversé, le cas du film « Rio » (2011) illustre une réalité bien plus sombre. L’ara de Spix (Cyanopsitta spixii), un perroquet bleu du nord-est du Brésil, est au cœur du scénario. Dans le film, Blu et Jewel sont présentés comme les derniers représentants de leur espèce, luttant contre le trafic illégal d’oiseaux exotiques.

L’ironie est tragique : en 2018, soit sept ans après la sortie du film, l’ara de Spix a été officiellement déclaré éteint à l’état sauvage. Le dernier individu observé dans la nature remonte à l’an 2000. BirdLife International a publié une étude dans la revue Biological Conservation confirmant que l’espèce avait succombé à une combinaison dévastatrice de destruction d’habitat et de trafic illégal pour le commerce d’oiseaux pour les cages des particuliers. 

Dès les années 1980, au plus fort du commerce illégal, des dizaines d’aras de Spix ont été arrachés à leur milieu naturel. L’adoption du traité CITES en 1975 et de la loi brésilienne de protection de la faune en 1967 n’ont guère freiné ce trafic illégal. Aujourd’hui, les individus détenus en captivité, tous descendants de seulement d’une poignée de membres fondateurs, ce qui pose de graves problèmes de consanguinité.

Des programmes de réintroduction sont en cours. Mais il semble compliqué, au delà de l’aspect génétique, de réellement comprendre l’importance de la culture animale. Les éthologues modernes soulignent que la survie des aras repose sur de véritables traditions locales, un bagage de connaissances qui n’est nullement inscrit dans leur code génétique. Pour ces oiseaux, identifier la maturité d’un fruit ou décrypter les signes d’un prédateur dans la forêt relève d’un apprentissage social complexe et prolongé. Durant sa première année, le jeune ara suit ses parents dans une forme de compagnonnage indispensable : par cette transmission verticale, il mémorise les routes de vol sécurisées, localise les points d’eau permanents et perfectionne les techniques complexes de décorticage des noix locales.

À l’inverse, un oiseau né en captivité souffre d’un handicap majeur que l’on peut qualifier d’amnésie culturelle. Privé de ce « manuel de survie » ancestral, il se retrouve projeté dans un environnement sauvage sans les codes nécessaires à son adaptation. Sans guide pour lui enseigner les secrets de la biodiversité qui l’entoure.

Certains programmes de réintroduction mettent désormais en place des stratégies de mentorat inter-espèces. En observant et en imitant ces mentors, les oiseaux réintroduits apprennent par « transfert culturel » à identifier les ressources en eau, à sélectionner les fruits comestibles et à réagir aux alertes de prédateurs, reconstituant ainsi, en quelques mois, un savoir-faire que des années de captivité avaient effacé.

Enfin, l’annonce de l’ICMBio en novembre 2025 concernant la contamination des onze derniers spécimens en liberté par le Psittaciform orthocircovirus (PBFD) marque une nouvelle tragédie.

Photo credit : Robert01 at German Wikipedia.

Le commerce d’animaux exotiques : une menace grandissante

Au-delà des cas emblématiques, le commerce d’animaux exotiques représente une industrie de plusieurs milliards de dollars et constitue l’une des principales menaces pour la biodiversité mondiale. Une étude de 2014 parue dans Conservation Biology révèle que des milliers d’espèces et des dizaines de millions d’animaux individuels sont expédiés chaque année pour satisfaire cette demande. Les oiseaux sont les plus commercialisés en termes de richesse spécifique, suivis par les reptiles et les mammifères.

Les recherches de Lockwood et ses collègues, publiées en 2019 dans Frontiers in Ecology and the Environment, démontrent que le commerce d’animaux exotiques a déjà conduit à l’établissement de plusieurs centaines d’espèces vertébrées non indigènes et envahissantes dans le monde. Cette voie d’invasion biologique est en forte croissance et pourrait contribuer à l’établissement de nombreuses espèces invasives supplémentaires.

L’impact est double : d’une part, les captures dans la nature menacent les populations sauvages ; d’autre part, les animaux relâchés ou échappés peuvent devenir des espèces invasives dévastatrices. L’exemple des pythons birmans en Floride, devenus une population de plusieurs milliers d’individus dans les Everglades après avoir été abandonnés comme animaux de compagnie, illustre parfaitement ce danger.

Au-delà des dégâts visibles des pythons birmans en Floride, ce commerce propage également des ‘ennemis invisibles’ : des pathogènes exotiques auxquels la faune locale n’est pas préparée, comme le champignon chytride qui décime les amphibiens mondialement. En fin de compte, si les bénéfices de ce commerce sont privés, les coûts écologiques et financiers de la lutte contre ces invasions sont devenus une charge colossale pour la société.

Photo credit : Photo de Maurice Sahl sur Unsplash

Hollywood peut-il devenir un allié de la conservation ?

Une étude de 2024 publiée dans Conservation Science and Practice a testé l’efficacité de différents messages de conservation concernant le commerce d’animaux exotiques. Les résultats montrent que les messages mettant l’accent sur la perte de biodiversité, les maladies zoonotiques, l’illégalité et la désapprobation sociale réduisent significativement les attitudes favorables envers ce commerce.

Cette nécessité de réduire la demande est devenue petit à petit une priorité institutionnelle. La Commission européenne, via son Plan d’action contre le trafic d’espèces sauvages, a récemment intensifié ses efforts pour transformer les comportements de consommation. En s’appuyant sur des leviers tels que la révision des cadres législatifs de détention (vers une potentielle Liste Positive) et la régulation des contenus numériques, l’Europe tente de tarir le marché à la source. L’enjeu est de passer d’une politique de saisie à une politique de prévention, reconnaissant que la survie d’espèces dépend directement de la disparition de l’intérêt commercial pour les spécimens exotiques. 

Photo credit : Photo de Tj Holowaychuk sur Unsplash

Conclusion

Le pouvoir d’influence du cinéma sur nos comportements est indéniable. Si l’ampleur de l’« effet Nemo » reste débattue scientifiquement, le cas de l’ara de Spix et la récente vague d’achats de serpents venimeux après Zootopia 2 démontrent que les films peuvent avoir des conséquences réelles sur la faune. Le défi n’est pas de cesser de représenter les animaux à l’écran, mais de le faire de manière responsable, en transformant la fascination du public en force pour la conservation plutôt qu’en menace pour la biodiversité.

Alors que nous nous émerveillons devant ces créatures à l’écran, souvenons-nous que leur vraie place est dans leur habitat naturel, et que notre admiration devrait se traduire par leur protection, non leur capture.

Chez Code Animal, nous militons pour un changement de paradigme. Plutôt que de s’obstiner dans une gestion purement technologique et curative de l’urgence, il serait temps de remettre en question notre prédation sur les ressources naturelles. Ces crises sont la conséquence directe d’une vision où l’animal sauvage est réduit au rang de marchandise. Le brassage des espèces au sein des circuits commerciaux, boosté par la demande sur les réseaux sociaux, transforme le marché des animaux de compagnie exotiques, notamment, en un incubateur de pathogènes qui finit par contaminer les derniers sanctuaires.

Nous pensons que la survie du vivant ne peut dépendre que de la protection stricte des milieux d’origine — la conservation in situ — et de la fin de l’utilisation d’espèces pour le plaisir humain ou autres raisons économiques . En somme, sauver le Ara de Spix et tant d’autres nécessite d’abord de les soustraire à nos logiques commerciales et de leur restituer leur droit à une existence sauvage, autonome et protégée de nos appétits de possession.

Photo credit : Unsplash 

Sources 

  • Militz, T. A., & Foale, S. (2017). The « Nemo Effect »: Perception and reality of Finding Nemo’s impact on marine aquarium fisheries. Fish and Fisheries, 18(3), 596-606.
  • Veríssimo, D., Anderson, S., Tlusty, M., Pizzaro, V., Vere, S., & Challender, D. (2019). Did the movie Finding Dory increase demand for blue tang fish? Ambio, 48(8), 882-892.
  • Butchart, S. H., Lowe, S., Martin, R. W., Symes, A., Westrip, J. R., & Wheatley, H. (2018). Which bird species have gone extinct? A novel quantitative classification approach. Biological Conservation, 227, 9-18.
  • Lockwood, J. L., Welbourne, D. J., Romagosa, C. M., Cassey, P., Mandrak, N. E., Strecker, A., … & Pham, C. K. (2019). When pets become pests: the role of the exotic pet trade in producing invasive vertebrate animals. Frontiers in Ecology and the Environment, 17(6), 323-330.
  • Bush, E. R., Baker, S. E., & Macdonald, D. W. (2014). Global trade in exotic pets 2006-2012. Conservation Biology, 28(3), 663-676.
  • Hinsley, A., Milner-Gulland, E. J., Keane, A., Ibbett, H., Lee, T. M., Gao, Y., & Huang, C. (2024). Testing conservation messages on attitudes towards the exotic pet trade. Conservation Science and Practice, 6(1), e13055.
  • QUB. (2025, 16 décembre). Zootopia 2 fait exploser les ventes de serpents venimeux en Chine. QUB. https://www.qub.ca/article/zootopia-2-fait-exploser-les-ventes-de-serpents-venimeux-en-chine-146699938
  • RTBF. (2025, 27 novembre). Brésil : les Aras de Spix menacés d’extinction par un virus mortel. RTBF Actu. https://www.rtbf.be/article/bresil-les-aras-de-spix-menaces-d-extinction-par-un-virus-mortel-11638830