Les controverses sur l’expérimentation animale se fondent la plupart du temps sur un débat scientifique, entre les adeptes du modèle animal et ses opposants, qui prônent de leur côté le développement de méthodes substitutives. La légitimité de l’expérimentation animale ne reposerait que sur la fiabilité de ce modèle. Les sacrifices annuels de 3 millions d’animaux en France (souris, rats, lapins, hamsters, chiens, chats, singes, cochons, oiseaux, poissons …) se justifieraient alors comme un mal nécessaire pour le bien-être de l’humanité.
Si les divergences scientifiques quant à la validité du modèle animal sont tout à fait recevables et méritent un approfondissement, elles ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Ce serait comme se poser la question de la légitimité de l’esclavage en termes de viabilité de la main d’oeuvre. La question est beaucoup plus profonde. Elle doit d’une part considérer l’animal en tant qu’être vivant, et non plus en tant que « modèle en débat » et d’autre part, remonter aux causes réelles qui nous conduisent, encore aujourd’hui, à multiplier ce genre d’expériences.

singe
Un singe détenu au centre de primatologie de Niederhausbergen (67)

Le 7 ème amendement de la Directive 2003/15/CE demandant l’interdiction des tests cosmétiques sur les animaux en 2012, est actuellement en sursis suite à l’introduction par la France d’un recours devant la Cour européenne de justice. Le gouvernement précise qu’il n’est pas opposé à cette directive, mais qu’il souhaite avant tout le développement de méthodes alternatives afin de ne pas léser son industrie florissante. L’ancien ministre délégué à l’industrie, François Loos, avait, quant à lui, jugé « idiote » cette directive, représentant une entrave à la concurrence. L’industrie cosmétique engrangeait alors un excédent de près de 6 milliards d’Euros ! À noter que les premières propositions pour interdire les tests cosmétiques ont été introduites par la Directive 76/768/CEE en 1992. À ce jour, aucun véritable programme de développement des méthodes substitutives n’a vu le jour.

Afin de répondre aux attentes des consommateurs, majoritairement opposés à ces expériences, certaines firmes annoncent leur engagement à ne plus tester leurs produits cosmétiques sur animaux, et les statistiques présentent effectivement une diminution officielle de ces tests au niveau national. Mais il ne s’agit que d’un écran de fumée, les tests étant transférés sous la réglementation des produits chimiques. L’innovation et la concurrence priment sur la vie de milliers d’animaux utilisés en toxicologie. La priorité est clairement économique.

La directive Reach, un programme dicté par des intérêts financiers

Si on élargit l’analyse aux tests de toxicité des substances chimiques, on découvre alors le vaste programme REACH (1) qui vise à tester près de 100 000 produits chimiques sur quelques 15 millions d’animaux (2). Partant du constat que de nombreuses molécules de synthèse sont nocives pour la nature et pour la santé humaine, l’Europe envisage de les re-tester alors même que des bases de données existent au sein des différentes entreprises et que certaines substances comme les POPs (Polluants Organiques Persistants) ont déjà largement fait parler d’elles à la suite de leur effets cancérigènes et mutagènes.

Mais remettre en cause certaines substances, c’est remettre en cause certaines pratiques (l’incinération par exemple), certains secteurs d’activité (PVC, peinture, parfumerie…) et donc tout un pan de notre économie. Partager les bases de données, c’est donner à une firme concurrente les résultats de ses propres études (qui légitiment les Autorisations de Mise sur le Marché – AMM), mais c’est aussi et surtout prendre le risque de dévoiler certaines incohérences et certaines approximations. Par exemple, la non concordance des résultats d’évaluation de la cancérogénécité de substances chimiques par absorption chez les rongeurs (3) ou de doses létales (DL50) selon les espèces de rongeurs (4), révèle que ces expériences ont été réalisées dans le but d’obtenir les résultats prédéfinis. Le processus même de l’expérience in vivo est basé sur le résultat escompté afin d’obtenir les AMM. Le terme est explicite, il s’agit bien d’un processus à visée commerciale et concurrentielle. Et c’est bien dans cette optique que l’animal sera une fois de plus sacrifié. Il servira de couverture aux industries et à éviter tout risque de crise de ce secteur économique. Les besoins de santé publique et de protection de la nature sont secondaires pour ne pas dire inexistants.

Qui osera bloquer la prolifération des substances chimiques ?

Selon l’Appel de Paris, signé par de nombreux scientifiques qui dénoncent les dangers sanitaires des pollutions chimiques, près de 80% des cancers pourrait être d’origine exogène (contre 20% d’origine génétique). Selon une étude récente, publiée par Greenpeace (5), de nombreux parfums célèbres, contenant des esters de phtalates et des muscs de synthèse, pourraient causer des perturbations endocriniennes, et ce malgré les tests de ces molécules de synthèse sur animaux.(6)

Sur la base de ces exemples liés à l’industrie chimique, on constate que l’animal est systématiquement un dérivatif, voire un paravent afin de légitimer la prolifération des substances chimiques. Pourtant, tout autant que l’animal, l’homme se trouve victime de ce système qui consiste à maquiller les problèmes en aval afin d’éviter d’y faire face en amont. Ce constat de dérive est tout aussi valable dans d’autres domaines. Ainsi selon la littérature scientifique internationale, il existerait d’importantes corrélations entre diverses pathologies courantes (maladies cardio-vasculaires, cancers du côlon et de la prostate, obésité, diabète…) et la consommation de produits carnés (7).

Mais qui osera s’attaquer à la racine du problème ? Quel gouvernement osera bloquer la prolifération des substances chimiques et remettre en cause les industries de la cosmétique et de la parfumerie ? Quels hommes politiques se risqueront à demander à leurs électeurs de changer leurs habitudes alimentaires risquant ainsi de mettre à mal l’industrie agro-alimentaire et le monde agricole ? Personne. L’animal sera la réponse. Il souffrira pour légitimer, pour perpétuer des pratiques dans lesquelles nous sommes embourbés. Les cancers, les maladies cardio-vasculaires continueront à augmenter, mais grâce à l’animal, nous aurons non seulement des recherches, des chiffres derrière lesquels nous cacher et nous justifier, mais aussi et surtout nous aurons préservé un système dont nous sommes devenus nous-mêmes les esclaves.

Le lourd tribut payé par les animaux

Se poser la question de la légitimité de l’expérimentation animale, c’est avant tout répondre à la question de notre « choix de société » et s’interroger sur notre capacité à en sortir. Afin d’éviter que cette réflexion soit entamée, les instances dirigeantes nous posent en quelque sorte le problème en termes de choix à faire entre un enfant et une souris. Les antivivisectionnistes sont alors hypocritement présentés comme des anti-humanistes. Or, si effectivement, nous remettions en cause notre mode alimentaire, si nous appliquions systématiquement le principe de précaution, si nous retirions du marché toutes les substances avérées nocives, si nous partagions les bases de données collectées, si nous mettions tout en oeuvre pour développer de nouvelles méthodes substitutives, et si, enfin de compte, nous avions effectivement à choisir entre un enfant et une souris, pour ma part, je ferais le choix de sauver l’enfant. Je ferais le choix de sauver ma propre espèce.

Mais tant que cette remise en cause de notre propre dérive n’a pas été faite, tant que nous ne serons pas remontés à l’origine de nos maux, il n’y a aucune raison pour que l’animal paie le tribut de notre incapacité à réagir. Il doit déjà subir au quotidien l’agression de notre civilisation. Ses habitats disparaissent sous le béton et les infrastructures routières et immobilières. Ses populations sont décimées pour satisfaire un commerce international de plus en plus prégnant. Il est même, tout comme les populations humaines les plus reculées, victime de l’air pollué au chlore, de l’eau polluée aux métaux lourds, des changements climatiques…

Une société biocide

« L’animal », réduit à ce terme générique, alors qu’à lui seul il représente des centaines de milliers d’espèces, et des milliards d’individus, devrait encore s’incliner, être au service de notre espèce. Accepter de servir un homme qui va à sa propre perte, parce qu’il est devenu incapable de sortir de la spirale économique dans laquelle il s’est projeté. De l’industrie chimique à l’industrie agro-alimentaire, tout converge vers l’économique. Les peuples ‘racines’ de tous les continents subissent le même sort que ces animaux dont on viole le territoire pour extraire les diamants ou planter des cultures intensives de soja qui iront nourrir « notre bétail ». Ceci illustre bien, qu’il ne s’agit pas d’une confrontation, ou d’un choix à faire entre l’espèce humaine et les autres espèces, mais d’un choix de priorité entre la vie et l’économique.

Faire ce choix de l’expérimentation animale, c’est accepter une société biocide. C’est accepter une économie vers laquelle tout converge et qui laisse jour après jour, des hommes, des femmes, des enfants et des animaux mourir dans la misère ou la maladie, dès lors qu’ils ne servent pas le système. C’est accepter l’exploitation marchande des peuples et des espèces. C’est accepter de ne rien faire et donc de laisser les industries chimique, pharmaceutique et agroalimentaire produire au-delà de ce que notre planète peut supporter. Et enfin, faire ce choix de l’expérimentation animale, c’est prétendre que la vie a moins de valeur que l’économique, car l’expérimentation animale ne sert que cela.

Nous avons le choix de nous cacher derrière les convenances, de nous rassurer en nous protégeant derrière des comités dits « éthiques » ou de privilégier la vie : la nôtre et la leur. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’économie, mais simplement de la remettre à sa place. Ce n’est pas la vie qui doit être au service de l’économique, mais bien l’économique au service de la vie, de toutes les vies, humaines, animales et végétales. Choisir entre la vie d’une souris et d’un enfant n’est qu’un leurre, une question qui nie le sujet qu’elle est censée éclairer.

Franck Schrafstetter, avril 2005

(1) Registration, Evaluation, and Authorization of Chemicals
(2) Selon estimations de l’Institute for Environment and Health – Testing Requirements for proposals under the EC White Paper ‘Strategy for a Future Chemicals Policy’ – Juillet 2001
(3) Gottmann, E et al (2001). Data quality in predictive toxicology: reproducibility of rodent carcinogenicity experiments. Environ Hlth Perspect 109:509-514
(4) E kwall B et al. 1999. Overview of the final MEIC results: II. The in vitro/in vivo evaluation, including the selection of a practical battery of cell tests for prediction of acute lethal blood concentrations in humans. Toxicol In Vitro, 13:665-673
(5) Peters, Ruud, (2005) « Phthalates and artificial musks in perfumes, » R&I-A 2005-011, TNO Environment and Geosciences, Department of Environmental Quality, Netherlands.
(6) Consise International Chemical Assessment Document 52 – Diethyl Phthalate – World Health Organization, 2003
(7) Etude du Dr Jérôme Bernard-Pellet sur la corrélation entre consommation carnés et différentes pathologies courantes.

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