L’exploitation des capybaras dans les cafés et attractions touristiques : une dérive préoccupante

Depuis quelques années, le capybara — plus grand rongeur du monde, herbivore semi-aquatique originaire d’Amérique du Sud — est devenu une figure omniprésente sur les réseaux sociaux. Les vidéos le montrant se faire caresser dans des cafés, se prélassant dans des spas artificiels ou participant à des activités touristiques dites “immersives” connaissent un succès considérable. Cette popularité a encouragé l’ouverture d’établissements qui utilisent ces animaux comme argument commercial.

Pourtant, derrière cette image séduisante se cache une réalité bien plus sombre : l’exploitation d’un animal sauvage sensible, aux besoins écologiques complexes, dans un cadre totalement inadapté. Cet article propose d’examiner cette problématique à partir de données scientifiques, d’analyses comportementales et de travaux sur le bien-être animal.

Photo credit : Unsplash

Une espèce aux besoins écologiques et sociaux exigeants

D’une manière générale, on connaît assez mal ce rongeur d’un point de vue scientifique. Les éléments disponibles sont traités dans ce dossier.

Le grand capybara (Hydrochoerus hydrochaeris) est une espèce semi-aquatique. Dans son habitat naturel, il vit toujours à proximité d’étendues d’eau qui lui permettent de se déplacer, de se nourrir, de thermoréguler et de se protéger des prédateurs. L’eau représente une part fondamentale de son écologie : c’est un espace de fuite, un outil de gestion de température, un support social et un moteur physiologique.

La littérature rappelle que l’espèce utilise un territoire étendu, avec des zones pour brouter, des espaces de repos, des points de vigilance et des zones de fuite.

Un enclos réduit, comme ceux présents dans les cafés à animaux, ne peut satisfaire aucun de ces besoins.

Sur le plan social, le capybara est une espèce grégaire dotée d’une structure de groupe complexe. Les individus évoluent en troupes hiérarchisées, avec des interactions permanentes, des comportements d’alarme, des cohésions familiales et des contacts sociaux réguliers.

Un capybara isolé, ou maintenu avec un simple congénère sans structure sociale stable, ne peut développer ni comportements naturels ni régulations sociales essentielles à son équilibre.

La recherche en écologie comportementale souligne depuis longtemps que la dynamique de groupe joue un rôle déterminant dans le bien-être de l’espèce.

Photo credit : Unsplash

Les limites structurelles des cafés à capybaras et des attractions touristiques

La captivité en milieu artificiel pose déjà un problème pour de nombreuses espèces sauvages. Dans le cas du capybara, elle devient profondément incompatible avec ses besoins physiques, sociaux et psychologiques. Des études menées sur le comportement de capybaras en élevage montrent que la qualité de l’habitat, la composition du groupe et la présence d’un espace aquatique suffisant conditionnent directement leur bien-être. Ces éléments sont absents ou très réduits dans les cafés à animaux, où les individus vivent dans de petits enclos, parfois sans eau en profondeur, et sont exposés en permanence au bruit, aux manipulations humaines et à des stimulations visuelles incessantes.

L’exposition prolongée à des visiteurs, qui changent constamment et dont les comportements ne sont pas maîtrisés, entraîne un stress important. Contrairement à ce que leur air placide peut laisser croire, l’immobilité fréquente observée chez les capybaras manipulés est souvent un signe de stress aigu ou de “freezing”, un état de sidération largement documenté chez les mammifères. Des recherches menées sur des capybaras capturés ou manipulés dans des contextes de gestion de population montrent par ailleurs que le stress physiologique peut être très intense, allant jusqu’à provoquer une immunodépression ou des troubles métaboliques.

Une autre étude, réalisée sur un capybara maintenu dans un café, souligne que l’absence d’un bassin profond est en elle-même une atteinte significative au bien-être de l’animal. La thermorégulation des capybaras repose sur l’immersion ; ne pas leur offrir cette possibilité revient à leur imposer une contrainte physiologique permanente. Ces contraintes s’ajoutent aux manipulations répétées, aux photos forcées, à l’absence d’espaces de retrait et à l’impossibilité de contrôler leurs interactions, ce qui constitue un environnement incompatible avec la plupart des indicateurs modernes de bien-être animal.

Photo credit : Unsplash

Une pratique qui banalise la captivité et encourage la demande en animaux sauvages

Au-delà des conséquences directes pour les animaux, l’existence de cafés à capybaras et du phénomène réseaux sociaux associé, participe à un phénomène plus large : la banalisation de la détention d’animaux sauvages à des fins de divertissement. En transformant un capybara en décor vivant ou en mascotte “mignonne”, ces établissements et influenceurs transmettent l’idée qu’il s’agit d’une espèce mignonne, facile à détenir, facile à manipuler et parfaitement adaptée à une vie en intérieur.

Cette représentation est non seulement fausse, mais dangereuse. Elle alimente un marché déjà problématique de nouveaux animaux de compagnie, intensifie les importations parfois illégales, et augmente le risque d’abandons lorsque les particuliers réalisent que ces animaux sont impossibles à gérer.

Les plateformes de vidéos “cute” participent aussi à cette dérive. Les images virales conduisent un public massif à croire que les animaux sauvages peuvent vivre sans difficulté dans des environnements domestiques ou semi-publics.

Code animal n’a de cesse que d’alerter sur ce glissement, en rappelant qu’il contribue à une forme de désensibilisation : plus la présence d’un animal sauvage en contexte artificiel est normalisée, moins on perçoit la violence structurelle de cette captivité.

Photo credit : Unsplash

Actualité médiatique et viralité

Le phénomène de popularité des capybaras est largement documenté. Le site ISYEB (MNHN) signale que le capybara est devenu la coqueluche des internautes, souvent présenté comme un animal “calme” ou “apaisant” dans des vidéos et des photos virales. Le quotidien Le Monde rapporte que ces rongeurs sont devenus des stars des réseaux sociaux, encouragés par des contenus mettant en avant leur apparence “zen”. Sur TF1, un reportage montre que certains établissements les présentent comme mascottes dans des cafés ou des lieux de détente, accentuant la confusion entre animal réel et objet de divertissement. Une vidéo Facebook montre également ce phénomène, illustrant comment la popularité en ligne nourrit des pratiques touristiques et commerciales potentiellement nuisibles pour l’animal. Ces observations confirment que l’attrait esthétique et émotionnel pour le capybara alimente la demande et contribue à des situations de maltraitance.

Photo credit : Unsplash

Conséquences sanitaires, écologiques et éthiques

Les interactions rapprochées entre humains et capybaras posent également des risques sanitaires. Des études portant sur des populations vivant dans des milieux modifiés par l’humain montrent des altérations métaboliques, des variations de poids et des déséquilibres sanguins, ce qui traduit une santé compromise. Lorsque ces animaux sont soumis à des contacts répétés avec des visiteurs, sans période de repos adaptée, les risques de transmission de pathogènes augmentent, dans les deux sens.

Sur le plan écologique, la mode du capybara comme animal de compagnie ou d’attraction peut encourager le trafic d’animaux et la capture dans la nature, particulièrement dans certaines régions d’Amérique du Sud où les contrôles sont faibles. Ces prélèvements fragilisent les populations locales, notamment dans des zones où l’habitat naturel est déjà menacé par l’urbanisation ou les transformations agricoles.

L’enjeu est également éthique. Traiter un animal sauvage comme un objet de divertissement, pour produire des instants “mignons” ou des likes sur les réseaux sociaux revient à nier son intégrité et son droit à un mode de vie conforme à son espèce.

Les cafés à animaux reposent intrinsèquement sur un modèle commercial qui exige que les animaux soient disponibles, manipulables et présentables à tout moment. Ce principe même est incompatible avec la notion moderne de bien-être animal, qui repose sur la liberté de choix, la possibilité de retrait et le respect des comportements naturels.

Photo credit : Unsplash

Vers une approche responsable : sensibilisation, alternatives et changement structurel

Il est essentiel de transformer notre rapport aux animaux sauvages et d’encourager des pratiques respectueuses. La première mesure consiste à ne pas fréquenter les cafés ou attractions qui exploitent des capybaras. La demande alimente l’offre : chaque visite valide le modèle économique et encourage son expansion. Sensibiliser son entourage, partager des informations fiables et expliquer les besoins réels de l’espèce permet de désamorcer les effets de la viralité des réseaux sociaux.

Une alternative plus respectueuse passe par le soutien à des sanctuaires et centres spécialisés reconnus qui offrent des environnements adaptés, sans exploitation commerciale ni interactions forcées. Le tourisme animalier peut également évoluer vers une approche plus éthique, centrée sur l’observation en milieu naturel et le respect des habitats, loin des manipulations photographiques ou des contacts artificiels.

Il est aussi important de promouvoir la recherche scientifique et la réglementation. Les connaissances sur le bien-être du capybara doivent guider les législations, et les États doivent renforcer les contrôles sur les établissements accueillant des animaux non domestiques. Une politique publique plus stricte sur l’utilisation des animaux sauvages dans les loisirs permettrait de mieux lutter contre les dérives.

Photo credit : Unsplash

Conclusion

L’utilisation des capybaras dans les cafés ou les attractions touristiques est révélatrice d’une tendance inquiétante : celle de l’appropriation du sauvage au service du divertissement. Leur apparente tranquillité, souvent interprétée comme un signe de bien-être, masque en réalité des privations profondes, une incapacité à exprimer des comportements naturels et une exposition constante à des facteurs de stress. Les études scientifiques disponibles, qu’elles portent sur leur écologie, leur physiologie ou leur comportement en captivité, convergent toutes vers la même conclusion : le cadre offert par ce type d’établissements est incompatible avec leurs besoins.

Les capybaras ne sont ni des mascottes, ni des jouets, ni des outils marketing. Ce sont des animaux sociaux, sensibles et adaptés à un environnement naturel très particulier. Les utiliser comme accessoires revient à nier leur nature profonde. Défendre leur bien-être implique de remettre en question ces pratiques, de les dénoncer et de promouvoir un rapport au vivant fondé sur le respect, la connaissance et la responsabilité.

Photo credit : Unsplash

Sources :

Wikipédia. (2025, décembre 4). Hydrochoerus hydrochaeris. Dans Wikipédia. Consulté le 4 décembre 2025, à l’adresse https://fr.wikipedia.org/wiki/Hydrochoerus_hydrochaeris

ISYEB. (2025, juillet 15). Qui est le capybara, cet étonnant rongeur qui gagne le cœur des internautes ? Consulté le 4 décembre 2025, sur https://isyeb.mnhn.fr/fr/actualites/qui-est-le-capybara-cet-etonnant-rongeur-qui-gagne-le-coeur-des-internautes-9703

Le Monde. (2025, 11 mai). Le capybara, nouvelle star des réseaux sociaux. Consulté le 4 décembre 2025, sur https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2025/05/11/le-capybara-nouvelle-star-des-reseaux-sociaux_6604895_4497916.html

Nogueira-Filho, S. S. C., & Nogueira-Filho, S. L. G. (2012). Capybara (Hydrochoerus hydrochaeris) behaviour and welfare: implications for successful farming practices. Animal Welfare.

Herrera, E. A., Salas, V., Congdon, E. R., Corriale, M. J., & Tang-Martínez, Z. (2011). Capybara social structure and dispersal patterns: variations on a theme. Journal of Mammalogy

Rosenfield, D. A., & Pizzutto, C. S. (2025). Positive reinforcement strategies to reduce capture-stress in capybaras. Acta Scientiarum

Gioia-Di Chiacchio, R., Prioste, F. E. S., Vanstreels, R. E. T., Knöbl, T., Kolber, M., Miyashiro, S. I., & Matushima, E. R. (2014). Health evaluation and survey of zoonotic pathogens in free-ranging capybaras (Hydrochoerus hydrochaeris). Journal of Wildlife Diseases

Souza, C. E. et al. (2019). Hepatozoon spp. in free-ranging capybaras: A potential source of protozoan transmission. Veterinary Parasitology

Moreira, J. R., Ferraz, K. M. P. M. B., & Herrera, E. A. (2013). Capybara: Biology, Use and Conservation of an Exceptional Neotropical Species. Springer.

TF1. (2023, 5 mai). Les animaux sauvages mignons menacés par les réseaux sociaux [Vidéo]. Dans Quotidien. https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/les-animaux-sauvages-mignons-menaces-par-les-reseaux-sociaux-96200429.html

Nautiljon. (s.d.). Le Japon ouvre son tout premier café à capybara. Nautiljon. Consulté le 4 décembre 2025, à l’adresse https://www.nautiljon.com/actualite/tourisme/le-japon-ouvre-son-tout-premier-cafe-a-capybara,12419.html