Captivité des cétacés : la Chine à contre-courant ?

Source : Pixabay

L’industrie des parcs marins chinois poursuit une croissance soutenue, à rebours des tendances internationales en matière de protection des espèces et de bien-être animal. En 2024, la Chine comptait 101 installations accueillant des cétacés, et 11 autres étaient en construction. Parmi elles, 95 proposaient des spectacles de cétacés, soit 17 de plus qu’en 2019.

Dans le pays, les spectacles avec animaux sauvages sont ancrés dans une culture du divertissement où les performances d’animaux sont encore perçues comme ludiques ou éducatives. L’essor économique des années 2000 a d’ailleurs favorisé l’émergence de vastes complexes touristiques intégrant des parcs marins. Un récent rapport de la China Cetacean Alliance (CCA) alerte aujourd’hui sur cette expansion continue et sur les risques qu’elle fait peser sur les cétacés.

Des structures de plus en plus nombreuses

Les parcs marins se sont multipliés en Chine, portés par une demande touristique croissante, et un public en quête de loisirs accessibles et toujours plus spectaculaires. Selon le dernier rapport de la CCA (2024), pas moins de 59 nouveaux établissements ont ouvert entre 2015 et 2024.

https://www.chinacetaceanalliance.org/wp-content/uploads/2025/02/Final_24-CCA-Report-English.pdf

Ces établissements hébergent environ 1 307 cétacés appartenant à 15 espèces différentes, parmi lesquelles les dauphins à gros nez (Tursiops) et les bélugas sont les plus représentés.

Parmi toutes ces installations :

  • 95 proposent des spectacles incluant des cétacés (contre 78 en 2019),
  • 95 offrent la possibilité d’interagir de manière rapprochée avec les animaux : câlins, caresses et baisers, ce, malgré un avis ministériel de 2010 interdisant les contacts directs entre le public et la faune aquatique ;
  • 12 proposent désormais des programmes “un jour avec un dresseur” ;
  • 18 offrent des activités de nage avec cétacés ;
  • 16 organisent des plongées encadrées entourées d’animaux.

L’ensemble de ces pratiques révèle une hausse marquée des activités impliquant des contacts rapprochés avec les cétacés, au détriment de leur bien-être et de la sécurité des visiteurs. Le rapport recense 9 accidents impliquant le public, dont 7 lors de plongées, ainsi que 9 incidents touchant le personnel des parcs, principalement lors des séances d’entraînement.

 

Prélèvements en mer irréfléchis et provenance floue

Parmi les 15 espèces détenues dans les parcs chinois, 12 sont inscrites à l’Annexe II de la CITES (voir tableau) et 3 – le marsouin aptère du Yangtsé (en danger), le marsouin aptère d’Asie de l’Est (en danger), et le dauphin à bosse d’Indo-Pacifique (vulnérable) – relèvent de l’Annexe I, la catégorie la plus stricte.

Entre 2019 et 2024, le nombre de grands dauphins captifs est passé de 554 à 738, celui des bélugas a augmenté de 30 individus, et celui des orques de 15 à 22. Les parcs ont également accueilli récemment 25 dauphins de Risso, 11 dauphins à bec étroit (Steno bredanensis), 14 marsouins aptères de Yangtsé, ainsi que plusieurs dauphins bleus et blancs et un dauphin d’Electre (Péponocéphale).

Outre ces chiffres inquiétants, c’est la provenance des animaux qui préoccupe particulièrement. Les chiffres déclarés par la Chine ne correspondent pas à ceux fournis par les pays exportateurs. Depuis 1985 par exemple, 970 grands dauphins (Tursiops) auraient été exportés vers la Chine, tandis que le gouvernement n’en reconnaît que 723. Pareillement, le Japon déclare avoir exporté 114 dauphins de Risso, alors que la Chine n’en comptabilise que 49. Ces divergences suggèrent des transferts non déclarés, et possiblement illégaux, ainsi qu’une mortalité plus élevée que celle enregistrée officiellement. Or, tout transfert d’animaux listés à la CITES sans documentation valide, constitue une violation grave de la convention, devant entraîner une enquête internationale.

 

La majorité des cétacés importés provient encore de captures en milieu sauvage réalisées en Russie, au Japon ou aux Îles Salomon. Ces opérations, suivies de transports longs et stressants pouvant durer jusqu’à 50 heures, sont très éprouvantes pour les animaux. En outre, ces prélèvements sont délétères pour les structures sociales naturelles. Effectués de manière totalement aléatoire, ils perturbent les groupes sociaux qui, pour certaines espèces, reposent sur des individus clés pour assurer les cohésions sociales. Les recherches scientifiques suggèrent donc que ces captures ont probablement engendré la dissolution de certains groupes sauvages, portant un grave préjudice aux espèces déjà en danger. De plus, les méthodes de capture sont invasives (filets tournants), stressantes, et génèrent des blessures, voire la mort de certains individus. Enfin, les animaux capturés sont ensuite regroupés avec des individus provenant d’autres groupes sociaux, provoquant des conflits fréquents, parfois violents, dans les bassins.

 

Reproduction en captivité : un désastre éthique et biologique 

Faute de registres publics, les données disponibles proviennent essentiellement des médias, qui rapportent 50 naissances entre 2019 et 2024, dont 17 au parc Zhuhai Chimelong Ocean Kingdom entre 2014 et 2023. Depuis 2002, les parcs ont déclaré 88 naissances, pour 7 décès, principalement avant 2018.

Certaines données interrogent toutefois. Les parcs affirment que le taux de reproduction en captivité aurait augmenté depuis 2019, sans qu’aucun décès de jeunes ne soit signalé. Les scientifiques dressent donc deux hypothèses : soit les compétences en élevage se sont effectivement améliorées de manière spectaculaire, soit les stratégies médiatiques deviennent plus habiles, les parcs ne signalant plus que les naissances des juvéniles dont la survie est assurée  afin de masquer une mortalité toujours élevée.

La reproduction en captivité reste aussi difficile avec les orques : les individus détenus sont peu nombreux , et la Russie a mis fin aux captures en mer. Si l’on est tenté de croire à une bonne nouvelle, il n’en est rien, car la Chine pourrait tenter de revenir à des captures sauvages, ou de procéder à des inséminations artificielles, méthode qui comporte un risque majeur : la création d’individus dont la biologie et les comportements diffèrent profondément de leurs congénères sauvages.

Le comportement maternel en captivité est également gravement perturbé. Chez les orques par exemple, la structure familiale à l’état sauvage est très soudée : mâles comme femelles restent avec leur mère toute leur vie. Ce faisant, les mères apprennent de leurs parentes à mesure qu’elles évoluent. Ces groupes sont matrilinéaires et multi-générationnels, et par conséquent sont essentiels pour l’apprentissage et le développement comportemental des jeunes. Or, en milieu captif, les jeunes mères sont placées au sein de groupes sociaux artificiels et séparées des bassins principaux pour la mise bas et l’élevage. Ces méthodes créent des failles profondes : elles ne disposent ni des acquis maternels nécessaires, ni de l’aide d’une parente pour prendre le relais en cas de besoin. Ces ruptures créent des “failles” dans le maternage, qui se perpétuent d’une génération à l’autre. Le rapport mentionne au moins deux cas survenus dans l’Ocean Park de Shanghai Haichang où des petits ont dû être élevés manuellement par le personnel, faute de soins maternels adéquats.

 

Conditions de détention, mal-être animal et conflits 

A l’état sauvage, les cétacés parcourent entre 40 et 150 km par jour, nagent à 5-50km/h, et peuvent plonger jusqu’à 300m de profondeur (Perrin et al. 2009 ; Rose et al. 2017). Or, rien de cela n’est possible en captivité.  Les bassins des parcs chinois mesurent en moyenne 10 à 20 m de long, 5 à 10 m de large et 4 à 8 m de profondeur : des dimensions sans commune mesure avec les besoins fondamentaux des animaux.

Dans ces sinistres conditions, les cétacés sont souvent isolés dans des bassins, leurs comportements naturels sont totalement inhibés, et leur existence se réduit à un ennui chronique interrompu uniquement par des interactions forcées avec le public, sous des bruits assourdissants, et des applaudissements anxiogènes. L’ouïe étant l’un des sens les plus développés chez ces animaux, les musiques retentissantes lors des spectacles provoquent chez eux un stress intense : des enquêtes mentionnées par le CCA conduites entre 2014 et 2019 ont révélé que les musiques accompagnant les spectacles atteignaient 110 dB, l’équivalent du niveau sonore d’une tronçonneuse.

L’étude terrain rapporte que 9 espèces de cétacés présentent des comportements stéréotypés. En éthologie, la stéréotypie se réfère “à un comportement répétitif, invariant et qui n’a aucun but ou fonction apparents » (Mason, 1991). Souvent observée chez les animaux captifs, la stéréotypie est exacerbée en situation de stress et se développe dans des environnements inadaptés qui fournissent trop peu de stimuli pour le développement normal de l’animal. Plusieurs exemples inquiétants illustrent ce mal : un orque régurgitant en continu au Shanghai Haichang Ocean Park (2019), un marsouin aptère du Yangtsé au Hangzhou Changqiao Polar Ocean Park (2024), frappant sa tête contre la vitre, fixant quelques secondes les visiteurs avant de s’éloigner puis réitérer (l’acte a été répété 8 fois en l’espace de 15 minutes).

Ces comportements, signes d’un profond mal-être, entraînent souvent des blessures, notamment dentaires, cause de mortalité fréquemment citée en captivité (Jett et al. 2017).

La Chine, à contre-courant des législations en pleine évolution

En Chine, la Loi sur la protection de la faune sauvage (2022) et le Règlement sur la protection de la faune aquatique fixent lesprincipes généraux pour la protection des habitats naturels et de la faune, y compris des animaux captifs, et imposent des conditions minimales de détention (espace, santé, hygiène). Toutefois, la capture, l’élevage et l’import-export des cétacés, y compris des espèces protégées sous couvert de licences spéciales, demeurent autorisés. Ces dispositifs contribuent de facto à l’exploitation commerciale, tout en maintenant une vision utilitariste de la faune. Les textes chinois n’intègrent pas la définition du “bien-être animal” et les normes nationales concernant les tailles minimales de bassins ou barrières de sécurité sont souvent ignorées ou insuffisantes. Les spectacles et activités rapprochées avec les animaux continuent de prospérer malgré l’interdiction de 2010. En pratique, les enquêtes de la China Cetacean Alliance documentent de nombreuses violations lourdes de conséquence : 49 cas de maladies ou blessures, 28 individus exprimant des comportements anormaux, et 4 cas de maltraitances par des dresseurs ont été observés.

Malgré un soutien des autorités, les critiques publiques concernant la détention des cétacés en Chine se multiplient. En mai 2023, Huang Chengming, scientifique en chef à l’Institut de zoologie, a déclaré que « ce que l’on appelle spectacle animalier consiste à forcer artificiellement les animaux à accomplir des comportements qui ne leur appartiennent pas […]. Ce type de spectacle ne constitue pas une manière de bien traiter les animaux et sera naturellement rejeté et critiqué par tout le monde. Cela peut être considéré comme une forme de maltraitance animale.

A l’heure où la législation européenne renforce la protection des animaux et où la France se prépare à fermer tous ses delphinariums d’ici 2026, l’industrie chinoise poursuit son expansion dans des conditions opaques, sans suivi transparent de gestion, de capture, ou de l’état sanitaire.

La captivité prétendument pédagogique ou de conservation n’est ni éthique, ni bénéfique pour la faune sauvage. Les animaux sauvages devraient pouvoir évoluer dans des écosystèmes naturels, apprendre des leurs et transmettre ces connaissances aux générations suivantes. 

 

La captivité des cétacés doit cesser ! 

En France, Code Animal milite pour trouver des solutions pour la faune sauvage captive : plus d’informations dans nos articles précédents !

Chloé

 

1. Coalition internationale d’organisation de protection et de conservation animale rassemblant divers acteurs tels que The Animal Welfare Institute, Born Free Foundation, qui étudie depuis plusieurs années les tendances de développement de l’industrie du divertissement impliquant des cétacés et autres espèces marines sur le territoire chinois. La coalition a produit plusieurs rapports afin de proposer un état des lieux scientifique (2014, 2019, 2024).

 2. Le rapport précise que ces données chiffrées sont issues de recherches en lignes, rapports de presse, et visites des structures et qu’il n’existe aucun inventaire officiel et public attestant du nombre de cétacés captifs.

3. Rappel : les Annexes I et II de la CITES s’appliquent aux espèces menacées d’extinction (I) ou dont le commerce pourrait générer une menace sur l’espèce (II). Cette classification génère des obligations en termes d’importation, d’exportation et de réexportation pour les parties : https://cites.org/fra/app/index.php

 4. Lusseau and Newman, 2004; Williams and Lusseau, 2006

5. https://www.code-animal.com/wp-content/uploads/2025/06/LES-ANIMAUX-MALADES-DE-LA-CAPTIVITE-dossier-code-animal-281023-3_compressed.pdf

 

SOURCES

 

Animal Welfare Institute. (2023, July 19). “Blackfish” Legacy: Captive marine mammal industry continues decline. https://www.awionline.org/press-releases/blackfish-legacy-captive-marine-mammal-industry-continues-decline

 

China Cetacean Alliance. (2025). OCEAN THEME PARKS: China’s growing captive cetacean industry (2019–2024). https://www.chinacetaceanalliance.org/wp-content/uploads/2025/02/Final_24-CCA-Report-English.pdf

 

CITES. (n.d.). Accueil – CITES (France). https://cites.org/fra/app/index.php

 

Code animal. (2025, juin). Les animaux malades de la captivité [PDF]. https://www.code-animal.com/wp-content/uploads/2025/06/LES-ANIMAUX-MALADES-DE-LA-CAPTIVITE-dossier-code-animal-281023-3_compressed.pdf

 

Jett, J., Visser, I. N., Ventre, J., Waltz, J., & Loch, C. (2017). Tooth damage in captive orcas (Orcinus orca). Archives of oral biology, 84, 151–160. https://doi.org/10.1016/j.archoralbio.2017.09.031

Loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes. (2021). Journal officiel de la République française n° 0279 du 1 décembre 2021. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000044387604

 

Mason, G. J. (1991). Stereotypies: A critical review. Animal Behaviour, 41(6), 1015–1037. https://doi.org/10.1016/S0003-3472(05)80640-2

 

Perrin, W. F., Würsig, B., & Thewissen, J. G. M. (Eds.). (2009). Encyclopedia of marine mammals (2nd ed.). Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-373553-9.X0001-6

 

Rose, N.A., Snusz, G.H., Brown, D.M. and Parsons, E.C.M. (2017).

Improving captive marine mammal welfare in the United States: Science-based recommendations for improved regulatory requirements for captive marine mammal care. International Journal of Wildlife Law and Policy 20: 38–72. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13880292.2017.1309858

 

Sina Weibo. (n.d.). Accueil. https://weibo.com/ttarticle/p/show?id=2309404899249975329237