Achille Zavatta – un « petit voyage » de onze heures pour les animaux

Le cirque Achille Zavatta, nommé d’après Achille Zavatta (1915-1993), est aujourd’hui dirigé par son fils cadet Franck Zavatta (contrairement à d’autres parmi les nombreux cirques Zavatta, qui ne sont pas dirigés par des membres de la famille et dont beaucoup ont changé de nom à plusieurs reprises). Depuis 2015, le cirque Achille Zavatta s’installe tous les deux ans en Réunion. Après son séjour en Réunion démarré le 14/02/2019, il a décidé de passer par Mayotte du 17/01 au 01/03/2020. La suite s’annonce peut-être aux Seychelles avant le retour à Saint-Denis en région parisienne (Clicanoo 15/02/2019a).

Aucun problème particulier jusque-là… si ce n’est que le cirque Achille Zavatta utilise des animaux : Malys (lion blanc), Maya et Tor (tigres du Bengale frère et sœur), Coco / Lolita (femelle babouin cynocéphale), qui doivent prendre l’avion eux aussi – mais pas en première classe. Et c’est sans parler du dromadaire, du lama et du poney « laissés sur place [par le cirque] il y a deux ans lors de son précédent séjour de 18 mois » (Clicanoo 15/02/2019a), ainsi que d’autres chameaux, dromadaires, poneys, lamas, et des chiens ou chevaux mentionnés en passant dans des articles sans que l’on sache bien d’où ils viennent.

Le transport

La Réunion, c’est ce département français d’Outre-Mer, situé juste à l’Est de Madagascar, dans l’Océan Indien. Depuis la métropole, cela représente un voyage de plus de 9000 km, soit au moins 11 heures d’avion – sans compter, pour les animaux, le stress de la préparation dans les camions pour le transport vers l’aéroport, de l’attente et des manipulations au départ et à l’arrivée, du transport vers le lieu d’implantation et de l’attente que les enclos soient montés, pour avoir quelques mètres carrés supplémentaires. Depuis la Réunion, Mayotte (au nord de Madagascar), c’est encore 2 heures d’avion, avec encore une fois tous ces aléas.

Pour Emanuele Farina, dresseur de fauves, « comme c’est très petit le voyage [de la métropole à la Réunion], juste quelques heures, on peut les poser dans des caisses, qui suivent quand même (…) des normes internationales. C’est fait exprès pour le bien-être et la santé psychophysique des animaux » (Clicanoo 14/02/2019a). C’était donc un « très petit » voyage de 11 heures, au cours duquel les animaux auraient voyagé « sans avoir été tranquillisés mais accompagnés d’un dompteur de fauves, afin de s’assurer du bon déroulement du voyage » (Clicanoo 15/02/2019b).

Caisse de transport des fauves pour l’avion à l’arrivée à la Réunion
(source : Clicanoo 14/02/2019a)

Autant les informations disponibles sur le web permettent d’avoir une idée des conditions de trajet de Malys, Maya et Tor (on voit notamment l’un·e des deux tigres, visiblement énervé·e à l’intérieur de sa caisse à l’arrivée à la Réunion, rugir à plusieurs reprises sur son dresseur et sur le dresseur de Coco – Images 1/2/3), autant on ne voit Coco qu’en extérieur, les animaux laissés sur place n’apparaissent qu’une fois (Image 4) et les autres n’apparaissent nulle part, bien qu’ils soient mentionnés par les médias. Peut-être la caisse que l’on aperçoit dans la vidéo de l’arrivée à Mayotte (Image 5) a quelque chose à voir avec elleux…

Le poney, le lama et le dromadaire laissés à la Réunion en 2017
(source : Clicanoo 14/02/2019b).

Image 5. L’arrivée à Mayotte
(source : Mayotte 1ère 17/01/2020)

Coco

Celle dont on entend beaucoup parler, c’est Coco (nom de scène « Lolita »), une femelle babouin cynocéphale, âgée de 10 ans d’après son dresseur Patrick Fricheteau – qui préfère comme beaucoup aujourd’hui se faire appeler « éducateur » (Clicanoo 14/02/2019a). On la voit par exemple en laisse sur l’image 6, regardant l’objectif, à son arrivée à la Réunion.

Coco en laisse aux mains de Patrick Fricheteau
(source : Clicanoo 14/02/2019a)

Mais on la voit aussi sur une vidéo réalisée par une visiteuse fin mars 2019 à la Réunion – longtemps après l’installation du cirque, donc. Coco est ici assise, attachée à un poteau par une chaine qui ne semble pas lui laisser beaucoup de liberté, avec une gamelle sur le côté.

Coco attachée à un poteau en mars 2019
(source : zinfos974 03/04/2019)

Interviewé par ZInfos974 (03/04/2019), P. Fricheteau explique d’abord qu’elle « se reposait » (ce qui ne justifie en rien l’attache) et que sa cage est enrichie, même plus que les réglementations l’imposent, ce qui est plutôt positif (mais l’enrichissement, s’il n’est pas renouvelé très fréquemment, ne sert pas à grand-chose d’après Mason & Rushen 2006). Il marmonne ensuite que quand même, un singe, ça fait des dégâts, alors « il faut bien… mais autrement, la plupart du temps, voyez, elle se promène ». Plus loin encore dans la vidéo, il dit que l’image est détournée, que les poteaux servent à attacher les animaux avant l’entrée en piste. À la fin de la vidéo, une femme dont on ne connait pas l’identité mentionne que l’habitat de Coco était en train d’être refait, et que c’est pour ça qu’elle était attachée. On a donc le choix : Coco se reposait, elle risquait de faire des dégâts, elle allait entrer en piste, ou bien son habitat était en réfection – ou bien peut-être les quatre à la fois. Reste qu’elle était attachée, avec très peu de liberté de mouvement.

La femme poursuit :

« Est-ce qu’on peut dire qu’elle est malheureuse cette guenon ? Elle est en liberté, elle est toujours en train de nous suivre, alors, hein… »

Il faut dire que le fait que Coco soit née en captivité n’empêche pas qu’elle fait partie de son espèce, avec les habitudes et les besoins ancrés chez cette espèce, que quelques générations en captivité (si ce n’est pas une seule) ne suffisent pas à effacer. En liberté, comme la plupart des singes, les babouins cynocéphales sont une espèce grégaire. Iels forment des groupes de 20 à 180 individus, mâles et femelles. Les femelles qui n’ont pas d’enfants s’occupent fréquemment des enfants des autres, ce qui implique des rapports sociaux fréquents et une grande proximité. Leur durée de vie moyenne en liberté est estimée à 40-45 ans – en captivité, elle tombe à 28-35 ans (animaldiversity.org). Coco est seule de son espèce parmi les humain·es. Évidemment, elle suit les gens qu’elle connait.

Patrick Fricheteau est fier de dire que si un jour elle ne veut pas travailler, il sort (de la cage) et elle ne travaille pas. Quelle chance. Si seulement elle pouvait aussi décider de ne pas « travailler » le jour du spectacle, ou de tout bonnement arrêter de « travailler » pour les cirques.

Le 30 janvier dernier, Emanuele Farina a dit sur le plateau de kwezi télévision (KTV) que Coco était rentrée en métropole plutôt que d’accompagner le cirque à Mayotte – un nouveau voyage de 11 heures, donc.

Malys

Vous savez peut-être que les lions blancs de Frédéric Edelstein ont été achetés dans un élevage d’Afrique du Sud qui fournit des animaux à de riches occidentaux pour la « chasse en boite ». Frédéric Edelstein s’en félicite, il considère les avoir « sauvés » (La Manche Libre 2015). Chez Achille Zavatta, Malys est un cas similaire. Franck Zavatta raconte : « Mon lion blanc est né à Rome. C’est une espèce très rare. Ses grands-parents sont nés en Afrique du Sud dans une réserve où les lions sont élevés pour servir de cibles à des chasseurs qui paient 8 000 dollars pour les abattre lorsqu’ils sont relâchés. Mon père est allé acheter un couple » (Clicanoo 15/02/2019a). Dans ces deux cas, les circassiens ont acheté les lions à ces élevages de chasse en boite, et ont donc participé à leur pérennité et à leur développement.

Remarquons en passant que les lions blancs ne forment pas une espèce, mais une mutation récessive appelée leucisme, et que cette mutation a beau être rare dans la nature (et très localisée géographiquement), elle a été largement développée par les élevages pour les zoos, les cirques et la chasse, toujours avides d’animaux « insolites », mais aussi pour la réintroduction inspirée par l’importance culturelles des lions blancs pour les humain·es vivant dans la région (Global White Lion Protection Trust). Il parait improbable que les lions s’intéressent à leur couleur, il s’agit donc bien de projets centrés sur nos propres intérêts.

Il y a quelques semaines, Emanuele Farina, dresseur, passait sur Mayotte la 1ère (17/01/2020, vers 2’20) pour parler du « bonheur » et de la « santé » des animaux. Derrière lui, Malys faisait des allers-retours dans sa cage, dans un mouvement continu répété strictement à l’identique, que l’on peut donc qualifier de « stéréotypie », comme on en trouve fréquemment chez les animaux en captivité. Pour les éthologues, sauf quand il s’agit de dysfonctionnements neurologiques (plutôt rares), les stéréotypies s’installent face à une frustration de l’animal, parce que son environnement est pauvre ou qu’il n’a pas de choix concernant sa nourriture, son territoire, son emploi du temps… (Mason & Rushen 2006, p. 12 ; Mason et al. 2007 ; Wesch 2012).

À la fin de la vidéo de la visiteuse rapportée par ZInfos974 (03/04/2019), on aperçoit également Malys ainsi que les deux tigres Maya et Tor, dans leurs cages. Un·e des deux tigres est en train de tourner en rond – la vidéo n’est pas assez précise et ne dure pas assez longtemps pour déterminer s’il s’agit d’une stéréotypie, mais c’est tout à fait probable. Face à cette vidéo, la femme qui nous parlait avant de la réfection de l’habitat de Coco nous dit que la visiteuse n’avait pas vu que la cage était ouverte vers l’enclos (Image 8). En fait, ce lion, « on l’oblige pas, il fait ce qu’il veut ». Il a donc un choix royal entre une cage vide et un enclos avec trois bouts de bois, sans jamais voir un autre représentant de son espèce et sans jamais pouvoir exprimer ses comportements naturels.

Les cages et l’enclos des fauves
(source : zinfos974 03/04/2019)

L’opposition

Ce n’est plus une nouvelle, l’opposition à l’utilisation des animaux sauvages (voire même de l’ensemble des animaux) par les cirques gagne du terrain en France ces dernières années. Début 2020, nous sommes l’un des derniers pays de l’Union Européenne à ne pas avoir légiféré dans ce sens, malgré les demandes d’un nombre croissant de villes. Espérons que les annonces d’Elisabeth Borne, attendues depuis « l’automne 2019 », concrétiseront ces attentes.

Franck Zavatta croyait avoir trouvé le bon plan avec la Réunion pour faire face à ces oppositions. Début 2019, il disait :

« Ces associations veulent interdire tous les animaux de spectacle. Cela va des poissons rouges dans les aquariums, aux delphinariums en passant par les fauves. Mais prenez par exemple les tigres du Bengale. Il y a plus de spécimens dans les cirques et les zoos que dans la nature. On peut le regretter mais c’est comme cela. Mais à la Réunion nous n’avons pas de problèmes avec ces associations ». (Franck Zavatta, Clicanoo 15/02/2019a)

Mais l’association récente Milit’ Activ’ 974 s’est chargée de corriger ce manque. Le 17 mars, elle a organisé une manifestation à Champ-Fleuri (événement Facebook – Images 9-10) qui a eu un impact médiatique tout à fait honorable (Clicanoo / Freedom.fr) et a été complétée par l’obligation pour le cirque de retirer ses affiches installées illégalement le long du boulevard sud de la ville (zinfos974). Le 5 mai, une deuxième manifestation a eu lieu à Saint Pierre, qui a donné lieu à des violences de la part d’un circassien, rapportées par la presse (Clicanoo / Freedom.fr / zinfos974). Le 7 juillet, c’était à Bras Panon que la manifestation avait lieu, avec un retour médiatique plus léger (zinfos974).

Manifestation du 17/03/2019 à la Réunion.
(source : Facebook Brandon Dalleau / zinfos974 18/03/2019)

À Mayotte, la mobilisation va se poursuivre. Le cirque y est installé depuis le 17 janvier, jusqu’au 1 mars. Avant même son arrivée, une pétition avait été lancée (sur avaaz.org) pour l’accepter, mais sans les animaux, et annoncée par la presse locale (JDM 16/01/2020, Mayotte la 1ère 17/01/2020). Elle n’a pas reçu beaucoup de signatures et n’a pas abouti. Le 24 janvier, l’association locale Gueules d’Amour a organisé une manifestation (événement Facebook) et lancé une autre pétition (sur change.org), qui en est déjà à 1500 signatures le 5 février, pour demander l’arrêt des numéros de cirque avec animaux à Mayotte. Espérons que la mobilisation se poursuive et porte ses fruits outre-mer comme elle a commencé à le faire en métropole.

Soutenons donc la mobilisation de ces associations, et espérons que Coco, Malys, Maya, Tor et les autres ne seront bientôt plus obligé·es de se donner en spectacle pour le simple plaisir des humain·es.

Nicolas Marty