Pour les fauves, au cirque le confinement…c’est tous les jours !

Alors que les mesures de confinement pour lutter contre la pandémie mondiale de Covid-19 touchent une grande partie des humains, Opportune Coste nous propose de réfléchir sur ce texte.

Pour les fauves, au cirque le confinement…c’est tous les jours !

 

6h.

Il fait encore nuit ; les volets du camion sont fermés.

Un, deux, trois pas. Demi-tour… un, deux, trois pas…

Aie…emporté par l’élan de mon ennui, j’ai fait de trop grand pas, et ma tête a heurté la paroi de ma cage…

Les cicatrices sans poils sur mon front me rappellent chaque jour
douloureusement les frontières de mon espace.

 

8h.

Par les interstices de la cloison j’aperçois les lueurs du jour qui se lève.

Un, deux, trois pas. Demi-tour… un, deux, trois pas…

 

9h.

Les volets du camion s’ouvrent. La lumière blafarde de ce matin d’automne éclaire le parking désaffecté
qui sert de résidence au cirque en saison hivernale.

Il pleut.

 Un, deux, trois pas. Demi-tour… un, deux, trois pas…

 

11h.

Un peu d’animation règne au milieu des caravanes. Des voix résonnent. Je tends l’oreille,
guette les rugissements des autres lions dans les cages voisines.
Au loin, derrière le chapiteau désert, j’entends les éléphants barrir.

Un, deux, trois pas. Demi-tour… un, deux, trois pas…

 

13h.

J’accélère mon parcours le long des grilles de ma cage ; c’est l’heure du repas !

Un, deux, trois pas … un, deux, trois pas …un, deux, trois pas…un, deux, trois pas…

Je salive d’impatience, rugis de nervosité ; je lèche les grilles pour tromper ma faim.

 

13h30.

Enfin ! Plusieurs carcasses de volailles sont poussées dans ma cage par la trappe de sécurité ;
et aussi un gros morceau de bœuf, accompagné, Ô suprême délice… d’un os !

Le soigneur remplit mon écuelle d’eau.
Je gronde colère quand il s’amuse à taper sur les grilles de ma cage avec son fouet…

 

15h.

Le moment est presque délicieux; allongé, le ventre plein, je somnole, les yeux mi-clos.
J’aimerais rêver à quelque chose, mais je ne sais pas à quoi…

 

17h.

Je ressens le besoin d’uriner et de déféquer.
Je voudrais pouvoir m’isoler et gratter le sol pour enfouir mes excréments ;
je me contente de les recouvrir avec quelques copeaux sales qui tapissent le sol de ma cage

Un, deux, trois pas. Demi-tour… un, deux, trois pas…

 

18h.

Le gardien vient nettoyer les cages.
Nous avons donc le droit, à tour de rôle, d’accéder à l’espace de détente qui dresse ses grilles sur le bitume.

Que c’est bon de pouvoir marcher en ligne droite, presque courir…deux ou trois foulées… 

Je me roule sur le sol avec bonheur ; tant pis s’il est humide et froid.

 

19h.

Nous avons tous regagné nos cages. Une litière de copeaux secs recouvre le sol.

Je mâchonne le reste de l’os en regardant la lumière du soir décliner derrière les immeubles.

Puis, je lèche ma patte et la passe soigneusement derrière mon oreille pour nettoyer mon pelage.

 

20h.

Fermeture des volets du camion. Les bruits s’éteignent peu à peu.

Je perçois encore quelques feulements dans les cages voisines.

La nuit va être longue…

Un, deux, trois pas .Demi-tour… un, deux, trois pas…

 

 

Opportune Coste

Mars 2020