France : Siam, l’éléphant de tous les esclavages

Siam, au musée d'histoire naturelle
Siam, au musée d’histoire naturelle

Au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, dans un coin sombre tout au fond de la Grande Galerie de l’Evolution, se trouve la dépouille naturalisée de Siam l’éléphant. Impressionnant et majestueux même dans la mort, de son vivant il mesurait 3,25 mètres de haut, pesait 7 tonnes et ses défenses 80 kg.

Des bancs sont disposés derrière lui, afin que le visiteur puisse regarder une petite vidéo racontant son histoire de façon très positive, ce qu’on nomme du «storytelling» qui est l’art de réécrire une histoire en rose, technique très utilisée par les entreprises. On parle au public «d’une vie extraordinaire», «d’un destin de héros romantique», «d’un artiste». Mais la réalité est bien plus terrible et voici l’histoire de Siam telle qu’on ne la raconte jamais, surtout pas aux enfants :

1945 – Capturé dans la nature et vendu

Tout bébé Siam est capturé dans la jungle, arraché à son biotope naturel, à sa mère, à son groupe pour être acheminé au marché de Sonpur, en Inde de l’Est où se vendent les animaux sauvages.

Il est dressé pour devenir animal de bât. La technique est bien rodée (et toujours utilisée de nos jours), il s’agit d’alterner traumatismes et soins. Pendant des semaines, l’animal est d’abord affamé et un dresseur le tape violemment, il est étroitement maintenu dans un enclos sans pouvoir bouger, nuit et jour. Mais un autre homme, qui deviendra son cornac, le nourrit et le soigne. Le petit terrorisé et traumatisé, aura ainsi son esprit brisé à jamais et comme tous les éléphanteaux qui subissent et survivent à ce funeste sort, Siam finira par obéir pour que cessent ses tortures. Il commence son travail de forçat dans les forêts. Il est aussi utilisé pour parader lors des cérémonies religieuses.

1956 – Vendu au cirque Knie

Le directeur du Cirque Suisse Knie, Rolf Knie cherche un mâle pour les douze femelles du cirque. Il repère Siam sur photos et, impressionné par ses mensurations, l’achète. Siam sera chargé en bateau au port de Calcutta et conduit vers Zurich par train, bateau, loin du climat de l’Inde pour lequel il est né, vers la froide Europe. «Il était arrivé, maigre comme un clou, fatigué, affamé, perdu» dira son dresseur Rupert Bemmerl. Son dressage pour le cirque commence. Alors il faut lui désapprendre le travail pour lui enseigner les numéros du spectacle. Son apprentissage dure un an, les ordres sont donnés en Indien et en anglais. Mais les dresseurs de cirque ne procèdent pas autrement que les cornacs hindous et pour faire obéir l’éléphant l’enchaîne, utilise l’ankus (pique spéciale) et le fouet afin de le contraindre à faire des numéros contre-nature. Il soulève un poney, laisse une ballerine danser sur ses défenses et se prête à des chorégraphies d’un goût discutable. Il sera montré dans toute l’Europe pendant 12 ans. Mais comme tous les mâles éléphants, Siam est taraudé par d’intenses pulsions sexuelles, il est dangereux et tue un garçon de piste. Le directeur du cirque doit s’en défaire.

1964 – loué au cinéma

Alors qu’il est en tractation avec le directeur du zoo de Vincennes, voici que le producteur de cinéma Pierre Etaix, le contacte pour louer, voire acheter, un éléphant. Il en a besoin pour jouer dans le film Yoyo. L’affaire est rapidement conclue. Accompagné de son dresseur, l’imposant pachyderme arrivera à Paris à l’Assomption, dans une ville déserte qu’il traversera en un cortège mémorable. Pierre Etaix filmera de nombreuses scènes avec l’éléphant. Pour finir, après deux semaines de tournage, Siam prend le chemin du zoo.

1964 – Vendu au zoo de Vincennes

Siam est escorté par des motards, son arrivée est filmée par toutes les caméras de France, même sa première saillie est enregistrée (durant toute sa vie, il sera père à quatorze reprises mais aucun de ses descendants n’est plus en vie). Mais la vie d’un éléphant de zoo, est d’un ennui mortel et pendant 33 ans la vie de Siam se résumera à manger, tourner en rond dans son enclos de béton – deux fois par jour, les soigneurs le sortent sur le plateau, pour que les visiteurs puissent l’admirer – puis manger et dormir à nouveau, ainsi de suite. Son soigneur, André Boitard, déclarera que : « Siam était souvent triste ». Siam finit par être la victime de cette inactivité subie (dans la nature les éléphants marchent beaucoup sur de grandes distances) et la base de ses pattes se fissure et se couvre d’abcès. Une première opération en mai 1997 ne le soulage que quelques mois. Le 23 septembre 1997, les vétérinaires du zoo de Vincennes prennent la décision de l’euthanasier.

2001 – Donné au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris

Mais, les êtres humains n’entendent pas laisser Siam reposer en paix. Trois ans après sa mort, sa dépouille naturalisée vient agrémenter les collections du muséum et Siam continue d’y amuser la galerie. Le public peut ainsi le voir sous toutes les coutures. Mais combien de visiteurs pleureront en prenant conscience de la vie brisée de Siam ? Cet éléphant qui, pour le plaisir des hommes, aura tout subi. Des éléphants empaillés, fantômes pathétiques, c’est tout ce que les hommes pourront bientôt voir de ces majestueux mastodontes, car dans le futur la terre n’en abritera probablement plus – les éléphants d’Asie sont officiellement classés comme espèce menacée d’extinction inexorablement détruits par l’espèce humaine.