Bile d’ours et le Covid-19

Bile d’ours et médecine traditionnelle

L’acide ursodésoxycholique (UDCA) est un acide biliaire largement utilisé dans le traitement de diverses maladies. Cet acide biliaire est présent à l’état normal dans la bile humaine à de très faibles concentrations (3 à 5 % de la totalité des acides biliaires). C’est en 1902 que le  chimiste suédois, Hammarsten, découvre que cet acide est produit en plus grande quantité chez l’ours. Dès 1954, une compagnie pharmaceutique s’empare de cette découverte pour en produire en grande quantité et le vendre comme un produit ayant des propriétés multiples dans le traitement des maladies digestives et du foie.

L’utilisation de cet acide biliaire était déjà connue dans la médecine traditionnelle asiatique. Les légendes japonaises relatent que les samouraïs ingurgitaient de la bile d’ours en grande quantité avant de partir au combat pour s’assurer de leur quasi invincibilité. Encore aujourd’hui, la pharmacopée[1] chinoise inscrit la bile d’ours dans ses produits les plus recherchés Le recours à la médecine traditionnelle est solidement ancré dans les mœurs asiatiques depuis des millénaires. Le gouvernement soutient cette médecine comme un pilier de la culture chinoise. Cette médecine traditionnelle est basée sur des produits extraits d’animaux, mais aussi principalement de plante.  En effet, à l’origine, cette médecine était essentiellement d’origine végétale. En 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a même intégré les remèdes à base de plante de la médecine traditionnelle à sa pharmacopée internationale.

Cette forte demande a conduit des milliers d’ours noirs d’Asie (Ursus thibetanus), aussi appelés ours à collier, à être mutilés dans des fermes souvent insalubres. Or, cette espèce est classée en Annexe 1 de la Convention sur le commerce international des espèces en danger (CITES): son commerce est donc strictement interdit.

[1] Recueil officiel des pharmaciens contenant la nomenclature des médicaments.

Recommandations gouvernementale chinoise / Autorité publique chinoise

La crise sanitaire de 2020 est un exemple flagrant des dérives de ce système médical traditionnel. Début mars, l’ONG Environmental Investigation Agency (EAI) découvre que la commission nationale de la santé de Chine a publié une liste de traitement recommandé contre le Covid-19 sur laquelle figurent des injections de Tan Re Qing (à base de poudre de bile d’ours). Alors qu’à ce jour, l’OMS affirme qu’il n’existe pas encore de remède contre le Covid-19, à l’exception de sirop et d’antidouleurs pour traiter les symptômes.

Avec cette recommandation, le gouvernement semble ambivalent concernant la vie sauvage animale. En effet, cette recommandation a été annoncée moins d’un mois avant d’interdire de façon permanente la vente et la consommation d’animaux sauvages à des fins alimentaires. Plus récemment, la ville de Shenzhem en Chine va interdire dès mai 2020 la consommation de chien et de chat. Le pays semble donc, petit à petit, faire des progrès concernant le commerce d’animaux sauvages vivants pour l’alimentation, mais continue toujours à promouvoir l’utilisation de ces animaux à des fins médicinales. Cela démontre de la difficulté pour les politiciens de mesurer l’impact de ces pratiques sur la destruction de la diversité biologique.

Pourtant, pour faire face à cette urgence, en 1973 au cours de la convention de Washington, différents États signent un accord international : la convention sur le commerce des espèces de faune et flore menacées d’extinction (CITES). Elle a pour but de veiller à ce que le commerce international des spécimens d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent. La Chine signe cet accord en tant qu’adhérente le 08 avril 1981. Malgré une apparente prise de conscience du gouvernement chinois, il existe aujourd’hui encore des pratiques scandaleuses vis-à-vis des animaux sauvages.

Par exemple, il est toujours autorisé de posséder un ours chez soi ou de créer une ferme spécialisée, c’est-à-dire un établissement spécialisé dans l’extraction de produits issus d’animaux captifs. En 1989, la loi chinoise de protection de la faune considère les animaux comme une ressource à utiliser au bénéfice de l’homme[1].  La détention d’ours captifs « domestiqués » est donc légale, contrairement à la détention d’ours sauvages. Mais comment l’animal sauvage passe-t-il à l’état captif, si ce n’est par l’extraction de son milieu naturel. De plus, l’importation d’animaux sauvages depuis d’autres pays est censée être également interdite.

Cependant, L’EAI dénonce le prélèvement de bile sur des ours sauvages, mais aussi l’importation d’animaux depuis le Laos, le Vietnam, et la Corée du Nord.

Ce trafic important, autour de l’ours noir d’Asie (encore appelé ours à collier) se fait en dépit de la loi et de son double statut :

  • espèce menacée d’extinction d’après la CITES,
  • espèce vulnérable selon l’International Union for Conservation of Nature.

L’autorisation de ce marché issu de la captivité ne fait qu’entretenir la demande qui incite au braconnage. La recommandation gouvernementale, a été massivement partagée sur la toile par les braconniers eux-mêmes dans l’objectif de promouvoir leurs produits illégaux.

[1] Cette loi est toujours en vigueur, et un amendement en 2016 appuie sa légitimité.

Le fonctionnement des fermes à biles

Pour garantir le marché de bile d’ours, des fermes spécialisées se sont ouvertes un peu partout en Chine et dans les pays limitrophes. L’ONG Animal Asia Foundation (AAF) dénombre aujourd’hui 10 000 ours détenus en Chine, et 1245 au Vietnam.  L’animal devient un producteur d’acide biliaire à partir de ses 1 ans, et peut vivre ce cauchemar jusqu’à ses 15 ans, pour ceux qui survivent. Les ours sont placés dans des cages, dont l’étroitesse les empêche de se tourner ou de se tenir à quatre pattes. Afin de récupérer la bile, un cathéter est planté à vif dans la vésicule biliaire de l’animal. L’outil de 8 à 12cm de long reste posé en permanence pour servir deux fois dans la même journée. Afin que la vésicule produise plus de bile, l’animal est très peu nourri. Face aux conditions de captivité abominables, la plupart des animaux développent de graves infections et maladie. Déshydratation, sous-nutrition, jambes et dents brisées, pattes craquelées, membre manquant, états d’anxiété et de colère sont autant de séquelles vécues par la grande majorité de ces ours.  Ces états catastrophiques sont infligés  par les conditions de braconnage et/ou de séquestration. Tous ces effets finissent par tuer la plupart de ces animaux. Certaines ONG dénonce d’ailleurs la dangerosité de l’utilisation de bile d’ours naturelle, car dans ces conditions d’extractions, elles contiendraient énormément de bactéries, pues, toxines qui contamineraient le consommateur. Aucun contrôle ne serait effectué sur ce produit, ce qui en fait un problème de santé publique.

L’ONG AAF se bat contre la construction de ces fermes en Asie depuis 1998. Elle a permis de construire des sanctuaires à Chengdu (Chine) et Tam Dao (Vietnam), afin de soigner et réhabiliter les ours provenant de ces fermes à bile. Un havre de paix semi-naturel qui propose une possible retraite à ces animaux fatigués et détruits. Ces refuges reçoivent aussi les nourrissons qui sont séparés de leurs mères au moment de la capture. A ce jour, 881 ours d’élevage ont été soignés dans ces sanctuaires. Pour tenter de mettre fin à ces pratiques abominables, l’association travaille en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales. Une négociation a d’ailleurs été mise en place entre les autorités chinoises et cette association : accueillir 500 ours des fermes par an, contre l’engagement de ne pas ouvrir de nouvelles fermes.

Une autre avancée obtenue par cette association : l’interdiction de vente de bile d’ours dans environ 1500 pharmacies au Vietnam.

https://images.radio-canada.ca/q_auto,w_960/v1/ici-info/4×3/ferme-ours-chine.jpg

Un marché issu du braconnage

Aujourd’hui encore, la lotion de bile d’ours est vendue jusqu’à 400 dollars les 100 ml pour la médecine traditionnelle. Un business pouvant rapporter à des industriels sans scrupule. Le trafic d’animaux représente le 4ème trafic mondial. Ce commerce illicite rapporterait entre 7 et 23 milliards de dollars par an. La vente d’animaux sauvages, morts ou vivants, ou de produits issus d’espèces protégées (médecine traditionnelle, nourriture illicite) constituent un trafic interdit illégal. Le braconnage représente une menace pour l’espèce en question, mais peut aussi provoquer un dérèglement dans l’écosystème. Une espèce qui disparaît favorise l’augmentation d’une autre population, et ainsi dérègle l’équilibre de cet écosystème. Interdire les fermes à bile d’ours est une nécessité pour l’animal, mais aussi pour tout notre système Alors comment justifier aujourd’hui la production de bile d’ours ? En plus de la dangerosité de sa consommation, il n’existe pas moins de 54 remèdes à base de plante capables de remplacer les différentes applications de la bile d’ours. Si la médecine traditionnelle est une facette importante de la culture asiatique, elle ne doit pas pour autant servir de prétexte. Ce commerce d’apparence légal, dissimule un trafic illégal provoquant ainsi un problème d’ordre de santé publique, et environnemental. A l’heure actuelle, l’aspect économique n’est pas une raison suffisante pour faire perpétuer ces atrocités. 

Marie

Référence :

https://cites.org/fra/disc/parties/chronolo.php

https://www.animalsasia.org/fr/notre-travail/end-bear-bile-farming/

https://cites.org/fra/res/10/10-19R14C15.php

https://www.iucnredlist.org/species/22824/114252336

https://www.nationalgeographic.fr/animaux/2020/03/la-chine-preconise-la-bile-dours-pour-lutter-contre-le-coronavirus

https://www.bbc.com/news/world-asia-china-52131940